Mythe du bon sauvage, Montaigne, Recueil d'observations curieuses sur les différents peuples d'Asie, de l'Afrique et de l'Amérique, abbé Claude Lambert, Histoire générale des voyages, abbé Prévost, Voyage autour du monde, Bougainville
Au XVIe siècle déjà, réfléchissant à la place de l'homme dans le monde et à la relativité des modes de pensée, Montaigne s'était interrogé sur la notion de « sauvage ». Son observation du naturel et de l'ingénuité de trois indigènes du Brésil débarquant à Rouen au milieu de la curiosité générale est à l'origine de l'intérêt manifesté, deux siècles plus tard, pour le « bon sauvage ».
[...] Il est utilisé de manière efficace par certains philosophes dans une stratégie de dépaysement : faire découvrir le monde occidental par des yeux étrangers permet de mettre en relief, avec un décalage tantôt naïf, tantôt ironique, les anomalies que masque le conformisme intellectuel et moral. Mais dans la mesure où il est devenu un véritable mythe, on peut se demander s'il n'est pas plus utopique que réel. L'intérêt pour les sauvages se manifeste tout au long du siècle à travers des genres littéraires variés. [...]
[...] En effet, pour Voltaire, Diderot et l'ensemble des encyclopédistes, l'interrogation sur l'état de nature n'empêche pas une croyance sincère dans le progrès. L'évolution des sciences et des techniques, le développement des échanges qu'elles favorisent sont propres à faire progresser l'homme sur le plan matériel, mais aussi sur le plan moral. Le progrès est pour eux un facteur fondamental du bonheur, comme le montre Voltaire dans Le Mondain, ou encore dans les Lettres philosophiques. Pour Rousseau, au contraire, l'évolution de l'humanité, qu'il perçoit pourtant comme inévitable et irréversible, fait progressivement abandonner à l'homme sa nature primitive, qui est bonne. [...]
[...] C'est en posant cette question que l'on perçoit à quel point le bon sauvage reste un mythe. S'il est illustré par des personnages romanesques comme le Huron ou présentés comme réels (le Tahitien de Diderot par exemple), il n'en reste pas moins une sorte de vue de l'esprit, une utopie sur laquelle s'appuie une réflexion abstraite et théorique. On peut en citer pour preuve certaines contradictions. Diderot, qui admirait la liberté des mœurs des Tahitiens au point d'en faire un exemple était en ce qui concerna sa famille d'un conservatisme très catégorique. [...]
[...] L'ingénuité, la simplicité en apparence du Huron ou des Tahitiens sont la marque d'une manière d'être et de vivre qui n'est pas à juger en termes de supériorité ou d'infériorité. Au contraire, ces différences devraient être l'occasion d'une réflexion sur ce que l'on peut apprendre au contact des autres et conduire à la tolérance. C'est la raison pour laquelle, lorsqu'il fait parler le Tahitien, Diderot lui donne la possibilité d'inverser les rôles. Si les interlocuteurs européens se mettaient dans la situation des Tahitiens, peut-être comprendraient-ils mieux leurs réactions. La leçon est claire. [...]
[...] Cet intérêt est également la conséquence des images répandues par certains missionnaires. Les sauvages illustraient, d'après eux, par leur vie communautaire exemplaire et par l'absence de hiérarchisation de leur organisation sociale, une application pure de la vie selon l'Évangile, tout à fait opposée à celle des Européens, perverti et dévoyé. Cette image très idéalisée, accentuée par un goût prononcé pour l'exotisme, conduit à des créations multiples. Voltaire met en scène un indigène d'Amérique du Nord dans L'Ingénu, et un esclave dans Candide, le nègre de Surinam. [...]
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