Pour certains auteurs, la littérature poursuit un idéal esthétique, une quête artistique mais pour d'autres, elle contribue également à défendre une cause, affirmer une opinion ou critiquer la politique d'un gouvernement auprès des lecteurs. Ainsi, au 18ème siècle, les auteurs des Lumières condamnent dans leurs oeuvres l'intolérance sous toutes ses formes : Voltaire dénonce les autodafés de l'Inquisition dans son conte philosophique Candide(1759), et Montesquieu fustige les esclavagistes dans un livre de son essai De L'esprit des lois(1748). La littérature possède donc une force argumentative, mais on peut se demander de quelle manière les auteurs parviennent à diffuser une thèse et à rallier les lecteurs à une cause. Dans un premier temps, nous verrons que la littérature est efficace car en dépit de la censure, les auteurs ont diffusé leurs pensées politiques et défendu leurs idéaux. Puis nous montrerons que l'efficacité de la littérature vient du fait qu'elle s'adresse aussi bien à la raison et à la logique du lecteur, qu'à sa sensibilité et à ses émotions.
[...] Ainsi, le lecteur de l'éépoque, qui a des actions dans le sucre, est rééceptif àà l'ironie employéée par Montesquieu et est prêêt àà adhéérer àà ce rééquisitoire implicite contre l'esclavage. D'autre part, certains auteurs comme Alfred Jarry utilisent l'humour noir et le burlesque, pour éétablir une complicitéé du mêême ordre avec le lecteur : ainsi dans Ubu Roi, le pèère Ubu se comporte en vééritable tyran, et déépossèède les Nobles de leurs biens avant de les exterminer. Cette scèène, qui fait éécho àà des rééalitéés tragiques, est traitéée sur un mode burlesque, et joue sur le ridicule du personnage et de la situation; ainsi le pèère Ubu a rééuni des instruments exclusivement rééservéés àà la torture des Nobles : "la caisse àà Nobles, et le crochet àà Nobles et le couteau àà Nobles et le bouquin àà Nobles!" et s'apprêête àà les "déécerveler", en les faisant tomber les uns aprèès les autres dans une trappe, ce qui donne lieu àà un comique de réépéétition. [...]
[...] Entre-temps, Prosper Méériméée a repris au déébut du 19èème sièècle, àà sa manièère, le message de Montesquieu, afin de faire éévoluer les mentalitéés : dans Tamango, il montre en effet le parcours terrible de Tamango, un chef africain qui se retrouve esclave et subit tout un voyage qui n'aboutira jamais, ni àà l'esclavage, ni àà la libertéé. Nombreux sont les auteurs, philosophes et artistes qui ont tentéé de dééfendre une cause àà travers leurs éécrits, tout comme l'on fait les auteurs, anonymes ou non, de la Seconde Guerre Mondiale. De fait, en 1940, alors que la France est sous le joug de l'Allemagne nazie, certains éécrivains cherchent àà conserver leur identitéé nationale et àà inciter leurs contemporains àà resister àà l'Occupation, tel Vercors et Robert Desnos qui recourent àà l'anonymat et diffusent leurs textes clandestinement. [...]
[...] Son efficacitéé provient de sa force de conviction auprèès des lecteurs, de la logique des raisonnements qu'elle met en oeuvre. Nous allons éétudier àà préésent les procéédéés argumentatifs de la littéérature engagéée, et la manièère dont elle s'adresse àà la raison du lecteur, que ce soit par des genres spéécifiques comme l'essai et le dialogue argumentatif, ou par des fictions qui contiennent des raisonnements logiques. Tout d'abord, certains auteurs choisissent d'exposer des sujets de politique ou de sociéétéé dans des essais, c'est-àà-dire des éécrits de forme libre mais argumentéée, dans lesquels le locuteur dit et s'exprime en son propre nom. [...]
[...] De plus, au sein mêême d'une fiction, les auteurs engagéés dééveloppent une argumentation trèès construite, et s'adressent àà la logique du lecteur, afin de dééfendre une cause. Ainsi, àà la fin du sièècle, dans son roman naturaliste Germinal, Zola donne la parole àà Etienne Lantier et expose dans son discours indirect libre l'injustice des conditions de vie dans l'industrie minièère. En effet, le syndicaliste Etienne expose difféérents arguments pour inciter les ouvriers àà poursuivre la grèève : premièèrement, arrêêter la grèève serait donner raison au patronat et nier tous les efforts accomplis jusque làà; deuxièèmement, il vaut mieux mourir dignement en combattant pour ses droits qu'en restant esclave; enfin, ce sont les ouvriers et non les patrons qui subissent les consééquences des lois de la concurrence : les ouvriers sont sous payéés afin de prééserver les béénééfices des patrons. [...]
[...] Ainsi, l'apologue ou la fiction thééââtrale font appel àà notre imaginaire, et joignent l'agrééable, tout en contournant la censure. D'autre part, en faisant naîître chez le lecteur un sentiment fort et imméédiat, l'éécrivain peut le rallier àà ses idéées. Deux registres essentiels contribuent àà faire naîître ces éémotions àà ééveiller le lecteur àà une injustice : le registre pathéétique et le registre poléémique. Ces deux registres sont employéés par Emile Zola dans le discours d'Etienne : "Toujours se soumettre devant la faim, jusqu'au moment oùù la faim, de nouveau, jetait les plus calmes àà la réévolte" : ici, la personnification de la faim suscite en mêême temps la compassion du lecteur envers la misèère ouvrièère, mais aussi un sentiment de réévolte, qui léégitime de ce fait l'insurrection des mineurs. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture