Tout un chacun reconnaît dans sa vie courante la nécessité de recourir aux mots pour désigner, décrire ou exprimer le réel. Les mots semblent un passage obligé pour qualifier et nommer les choses qui nous entourent, et ainsi en communiquer l'existence. La question est alors de savoir quelle est la nature des mots. Sont-ils des étiquettes, c'est-à-dire des dénominations arbitraires collées une fois pour toutes, nées d'une convention collective et sans réelle adéquation avec la réalité à laquelle ils renvoient, ou disposent-ils d'une valeur propre, hors toute convention, qui leur permet d'atteindre l'essence des choses ? Identifier le mot à une simple étiquette, n'est-ce pas en un sens l'enfermer dans l'utilitaire, oubliant dès lors sa beauté ou sa finesse ? Mais pour autant, peut-on nier au mot un caractère somme toutes conventionnel, né de la société humaine et de ses besoins ? Autant de questions auxquelles nous tenterons de répondre dans notre étude, entendant par « mot » aussi bien les noms communs que la grammaire, qui n'est autre que leur usage et extension.
Nous analyserons dans une première partie ce qui, de fait, tend à penser les mots comme des étiquettes plaquées sur les choses, dont l'existence et la forme sont indépendantes du réel auquel elles réfèrent. Dans un second temps, nous nuancerons ce constat, considérant qu'il appartient à l'homme d'user des mots comme d'une étiquette ou de leur redonner du sens, partant du principe qu'ils disposent d'une valeur propre. Enfin, nous aborderons la poésie, dont l'usage restitue le réel au-delà des mots.
[...] Certes les mots semblent arbitraires, nés de conventions collectives et sujets aux généralisations abusives et aux automatismes. Néanmoins, réduire les mots à de simples étiquettes reviendrait à leur nier toute valeur propre, ce à quoi nous ne pouvons nous résoudre. Cette valeur semble dépendre de l'usage que nous en faisons, auquel d'aucuns superposent un caractère proprement supérieur du langage. Tout d'abord, force est de constater que les automatismes peuvent être renversés. Sortir de la logique des étiquettes, c'est avant tout chercher à faire sien le langage, c'est-à-dire chercher à en comprendre la forme, la fonction et la richesse, afin de l'utiliser en conscience. [...]
[...] Et de fait, que venons-nous chercher dans le poème sinon l'essence des choses ? Que venons-nous chercher chez Baudelaire, sinon l'expression d'un spleen profond et authentique partagé entre l'amertume, l'amour rageur et l'espoir ? Quel besoin les hommes ont-ils de recourir à la poésie, si ce n'est pour en finir avec le langage utilitaire du quotidien et ainsi retrouver pour un instant les finesses et la vérité des mots, relative à celle des choses ? Comme le dit Heidegger, le langage, et à fortiori les mots, sont la maison de l'être Le tout est alors de leur offrir un champ d'expression non enfermé dans l'utilitaire, telle la poésie, où leur valeur véritable à tout loisir de s'exprimer. [...]
[...] Ils sont en conséquence le fruit de conventions collectives, établies au sein d'une communauté donnée et en dehors de laquelle le mot sitôt construit perd toute signification. Ainsi, Condillac définit les mots comme autant de signes d'institution qui, à l'inverse des signes proprement dits qui entretiennent un lien direct avec les choses, n'existent et ne sont significatifs qu'à l'intérieur d'une communauté linguistique donnée et des règles et conventions qui la régissent. Dans une telle perspective, les mots semblent bien des étiquettes collées sur les choses, étant donné leur caractère arbitraire. [...]
[...] Ce rapport peut d'ailleurs être renversé par le travail de chacun vis-à-vis de sa langue, qu'il s'agisse de lui redonner sens au quotidien ou de le parfaire et enrichir grâce à l'art littéraire. Au-delà du clivage sur l'origine et la nature des mots, entre convention et transcendance, la question reste celle de la Vérité du langage. Si on en croit Saint Exupéry, peu importe que l'un ou l'autre, de l'arbitraire ou de l'inné, l'emporte, si tant est que les mots permettent d'exprimer une idée que tout un chacun est en mesure de comprendre : la Vérité, c'est [avant tout] le langage qui dégage l'universel. [...]
[...] L'absence de réelle adéquation entre les mots et les choses auxquelles ils réfèrent étant pour bonne part dans notre définition des mots en tant qu'étiquettes, sa disparition au sein de l'œuvre poétique nous astreint à reconsidérer notre position : le mot poétique étant réellement significatif, indépendamment de codes artificiels, il ne peut être rapporté à une étiquette, laquelle, par définition, n'est significative qu'à l'intérieur des codes et des conventions collectives et perd toute valeur en dehors de ces systèmes. Les mots à l'inverse jouissent de sonorités et de rythmes qui leur permettent d'évoquer des réalités chez ceux-là même pour qui la langue en question est inconnue. Enfin, les mots permettent au poète de faire surgir une présence qu'aucune re-présentation n'a encore occultée. Pour Heidegger, les mots restent des étiquettes tant qu'ils sont employés à des fins purement instrumentales. En ce sens, les mots de la science et de la vie quotidienne peuvent apparaître comme étant des étiquettes. [...]
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