Depuis qu'elle est, l'humanité n'a jamais cessé de réfléchir à la mort, son origine, ses causes immédiates, sa signification et ses conséquences. De fait il apparaît, sans préjuger du comportement animal devant le mourir, que l'Homme est le seul animal à « honorer » ses morts, et les anthropologues considèrent que l'apparition de la conscience réfléchie — au sens par exemple où 'entendait Teilhard de Chardin — coïncide avec e moment où les hommes ont donné une sépulture à leurs morts.
Chez l'être humain, la prise de conscience de l'événement a entraîné en retour — et s'en trouve maintenant indissociable — la pratique des rites funéraires, religieux, ainsi que les diverses croyances ou espérances en la survie.
Prise de conscience de l'événement mais, au fait, de quel événement ? Car si la mort ou, plutôt, le mourir est assurément la seule certitude absolue que nous possédions, il n'est rien par contre sur lequel nous détenions aussi peu de renseignements. Nous mourrons; mais nous ne savons ni quand, ni comment, ni pourquoi. Nous ne savons ce qui se passe au moment de la mort, nous ne savons ce qui se passe après elle. En dépit des travaux scientifiques de notre siècle, et ils n'ont pas peu contribué à changer l'idée que les hommes se font de la mort, le philosophe E.M. Corian soulignait cependant que « Pour me documenter sur la mort, je n'ai pas plus de profit à consulter un traité de biologie que le catéchisme », entendant ainsi qu'étant l'expérience ultime et incommunicable par excellence, on ne peut rien savoir de la mort et du mourir dès lors qu'on ne les confond pas avec les attitudes précédant la mort (agonie,...) ou la suivant (cortège, rites et objet funéraires,...).
[...] Ainsi que nous le verrons plus loin, mourir aujourd'hui n'est plus le fait ni du groupe ni de l'individu lui-même, mais celui de la médecine. Interposé entre le moribond et son groupe sociologique, le corps médical décide unilatéralement comment va se produire la mort, quand et pour quelles raisons biologiques; biologisation de la mort qui, consommant la rupture corps/âme et esprit, provoque un certain traumatisme psychosociologique. Effectivement, cette subtilisation du corps malade et de sa mort a-t-elle tendance à entraver la réalisation des deux premières étapes du travail de deuil : le déni (puisque, bien avant la mort, le corps a disparu) et la phase d'agressivité (puisque personne ne peut être coupable, la médecine ayant fait son possible Les deuilleurs doivent alors affronter presque immédiatement la phase de dépression où ils rencontrent l'irréalité et l'absurde de la mort. [...]
[...] des Français répondent : oui; au paradis la proportion des oui tombe à pour n'être plus que de de personnes croyant en une vie après la mort et de seulement croyant en la réincarnation (Rappelons ici le mot de saint Paul : si Christ n'est pas ressuscité, alors notre religion est vaine Mais le rituel funéraire ne fait finalement que traduire, jouer la manière que chacun et chaque civilisation a de se représenter son propre mourir (par le biais de la mort de l'autre) et l'espoir qu'il peut y avoir, soit de le transcender, soit de le reculer, soit enfin de l'éviter absolument. Face au mourir, les couples mythologisation/intellectualisation ou société non industrielle/société industrielle sont alors remplacés par le couple que forme le mythe ou la science. Car c'est à eux que l'homme va s'adresser pour leur demander, non plus de déplacer la mort mais bien de faire en sorte qu'elle ne soit pas. [...]
[...] Au sein de la vieille idée du destin collectif à laquelle les idées premières de la religion chrétienne ou musulmane s'étaient si bien adaptées, s'immisce maintenant le souci de la particularité de chaque individu; les sépultures vont s'en individualiser d'autant. Sous l'influence chrétienne, les tombes sont ainsi ramenées autour ou dans les églises (à proximité des saints et des martyrs) mais elles vont de plus en plus chercher à perdurer matériellement : le cercueil remplace le linceul et éternelle dalle de marbre va, pour les plus riches, se poser sur le petit tumulus terreux de jadis. [...]
[...] Notre peine est la même et nous ressentons profondément votre mort comme un deuil personnel. Nous réaffirmons nos liens avec vos descendants et nous les implorons dans les jours d'angoisse, et à vous nous demandons de délivrer ce pays de la faim et de la maladie En Afrique traditionnelle, si les morts occupent une très grande place dans la vie sociale, ils n'en ont pas moins leur place et leur culte est extérieur et institutionnalisé; d'où l'existence d'un dialogue dont l'homme tire un très grand bénéfice. [...]
[...] Et le seul espoir devient finalement l'espoir en la médecine. Ainsi la mort et le fait de mourir deviennent-ils l'anormal, le défi à la science et à la civilisation; défi qu'on ne peut supporter. L'Occident moderne est la première civilisation à parler d'Éros en oubliant Thanatos. De plus, la coupure âme/corps, pensée/machine corporelle n'ayant jamais été poussée aussi loin, l'homme d'aujourd'hui se voit de plus en plus, la médecine aidant, dans l'incapacité de définir le mourir lui-même : le corps étant constitué scientifiquement en entité autonome de celui qui l'habite, les greffes d'une part et la vie végétative sous assistance médicale dans le coma dépassé d'autre part reposent entièrement le problème de savoir quoi meurt, qui meurt et à partir de quel moment. [...]
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