Le philosophe Kant, en réponse à la question « qu'est-ce que les Lumières?» posée en janvier 1783 par le pasteur Zöllner dans la Berlinische Monatsschrift, expliqua qu'elles représentaient une autonomie de la pensée, la conquête d'une attitude intellectuelle. Il considère que la littérature devient, aux mains des écrivains, une arme de combat contre les préjugés, un instrument de propagande en faveur du progrès.
Cette position peut éclairer les propos de Montesquieu qui écrit, dans l'Esprit des lois, qu'«il ne s'agit pas de faire lire, mais de faire penser». On peut s'interroger : dans quelle mesure cette formule s'applique-t-elle à la représentation de l'Orient dans Les lettres Persanes et dans Zaïre ? L'Orient est-il employé pour provoquer un raisonnement chez le lecteur ou pour le distraire ?
[...] Jean Goldzinc, «Présentation», Zaïre, p [14]Michel Delon, «Les Lettres persanes - Montesquieu Encyclopaedia Universalis, op. cit. Montesquieu, Lettres persanes, op. cit., p Ibid., p Voltaire, Zaïre, op. cit.,, p Ibid., p Ibid., p Montesquieu, De l'esprit des lois, Paris, Seuil, Œuvres complètes, p.598 Jean Marie Goulemot, «Lumière (philosophie Encyclopaedia Universalis [ Montesquieu, «Quelques réflexions [ Lettres persanes, op. cit., p Voltaire et Jacqueline Hellegouarc'h, Correspondance choisie. Paris, Éditions Librairie Générale français p. 58-59. Jean Marie Goulemot, «Voltaire (1694-1778)», op. [...]
[...] La littérature des Lumières étant généralement animée par une mission pédagogique, le roman épistolaire et la tragédie s'inscrivent dans une tradition de vulgarisation et d'utilisation de formes ludiques. Cependant, si l'on en croit Michel Delon, «l'éclatement du roman [de Montesquieu] en lettres diverses, l'atomisation du débat en discussions parcellaires empêchent l'œuvre de déboucher sur une conclusion univoque[29]».Aussi, on peut se demander si un excès de vulgarisation, une surdose de satire et de tragique, n'entraverait pas, en réalité, la transmission d'informations. [...]
[...] Voltaire, pour sa part, propose au spectateur une étude des conséquences d'un amour passionné entre un Musulman et une jeune Chrétienne. Quoique la nature même de l'oeuvre implique une conclusion tragique, cet amour est présenté comme possible, comme bénéfique aux deux parties (Zaïre aurait gravi l'échelle sociale, Orosmane aurait renoncé aux voluptés néfastes de l'Orient). Cette dissertation se proposait de répondre à la question suivante : dans quelle mesure la représentation de l'Orient dans Zaïre de Voltaire et dans les Lettres persanes de Montesquieu sert-elle à faire penser le lecteur plutôt qu'à le faire lire? [...]
[...] Le lecteur a accès aux propos des personnages et la lettre provoque un important effet de réel Le lecteur se prend au jeu et peut croire participer activement à la situation de communication ; néanmoins, il n'est pas coénonciateur, son rôle se borne à la réception. En conséquence, si le lecteur se prend au jeu et croit découvrir l'Europe en compagnie d'Usbek, Rica et Rhédi, il est tributaire de ce que Montesquieu veut bien leur faire écrire. La situation est homologue au théâtre «où une énonciation s'accomplit sur la scène, entre les personnages, tandis qu'une autre, plus globale, a lieu entre la scène et le public[10]». [...]
[...] Par ailleurs, la représentation de l'Orient dans les œuvres a pour fonction de construire une exemplarité. Ainsi, les erreurs des différents personnages doivent servir de leçon, d'avertissement pour le spectateur. Il est invité à la prudence, Voltaire lui donne à voir ce qui arrive lorsque les passions ne sont pas endiguées. Orosmane, accablé par la mort de Zaïre, se repend de la rage qui l'a poussé au crime et demande à Nérestan : porte aux tiens ce poignard, que mon bras égaré, a plongé dans un sein qui dut m'être sacré Le participe passé égaré, employé comme qualificatif, laisse entendre qu'ayant perdu son chemin à cause de la jalousie, son apparence était celle de la folie. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture