Les questions posées à la spécularité, notamment à travers le miroir, ont évolué au fil de l'histoire humaine. Et du statut donné au reflet dépend son mode de connaissance. Le champ de la subjectivité (connaissance et conscience du moi) se dégage lentement d'une perspective religieuse qui la fonde et la délimite, en même temps que la maîtrise du reflet et de la perspective confère à l'homme un pouvoir nouveau, le pouvoir de manipuler son image et de la déformer au mépris de la ressemblance divine qui la cautionnait. « C'est à partir de ce double regard, introspectif et mimétique, que l'individu peut se définir comme sujet. L'attention portée à soi dans le miroir du connais-toi toi-même lui permet de se saisir dans la souveraineté de sa conscience, tandis qu'en se constituant image dans le miroir de l'autre, il devient spectacle pour lui-même sous un regard extérieur : se voir et être vu, se connaître et être connu sont des actes solidaires. Ainsi s'est affirmée dans l'histoire la conscience spéculaire » . A ce titre, la naissance en 1826 de la photographie , cet « art diabolique » , marque l'arrêt théâtral de cette histoire de la spécularité. Non pas qu'à partir de cette date le miroir cesse d'agir, mais à partir de cette invention commence à émerger un principe qui, avec la naissance du cinématographe, viendra clore l'histoire de cette évolution des usages et de la compréhension de la spécularité. « A partir de ce moment, la société immonde se rua, comme un seul Narcisse, pour contempler sa triviale image sur le métal »
[...] Nous voyons que ce n'est pas tant la nature du terme de départ, de celui de l'arrivée, ainsi que celle du voyage qui importe, mais plutôt la nature du ou des liens les liant. Si le visage d'un homme est ce terme de départ, le miroir celui de l'arrivée, et le reflet ce qui voyage, il nous semble pourtant que la nature hétérogène de ces trois termes est évidente, et donc leurs natures incompatibles. Or, quelle serait l'importance du visage sans notre capacité à voir les contours de notre propre visage ? Que serait l'homme sans sa connaissance spéculaire de lui-même ? [...]
[...] L'intérêt de la question spéculaire, c'est que le monde fait partie de mon sujet, et réciproquement, en tant que mon moi est divisé. Je voudrais en somme que mon image [ . ] coïncide toujours avec mon moi (profond comme on le sait) ; mais c'est le contraire qu'il faut dire : c'est moi qui ne coïncide jamais avec mon image ; car c'est l'image qui est lourde, immobile, entêtée [ . ] et c'est moi qui suis léger, divisé, dispersé . [...]
[...] Cette reprise, cette redite, c'est le fait de l'homme. C'est le fait de l'homme en tant que c'est l'histoire elle-même qui a fait l'homme capable d'une telle reprise. Que l'histoire constitue l'homme en même temps que l'homme reconduit l'histoire, est, nous l'auront compris, une manière de dire la présence d'un principe, c'est-à-dire la présence d'un élément constituant De la structure que ce principe génère, que pouvons-nous savoir ? Que pouvons-nous savoir d'un principe qui se situe de telle manière qu'il conditionne tous les autres principes en tant que possibles. [...]
[...] Ce qui ne veut pas pour autant dire qu'il ne peut rien en dire. Cependant, en tant qu'il utilise le principe qu'il décrit, comment peut-il parvenir à sa description convenable ? Comment parvenir à représenter une représentation en train d'être représentée, surtout quand il s'agit de ma représentation ? Comment faire pour que mon propre discours ne soit pas identique à l'un de ces mythes endo- psychiques qui, comme le dit Freud fort justement, suscite des illusions qui, naturellement, se trouvent projetées au dehors ? [...]
[...] L'autoportrait ne fait pourtant qu'appuyer le trait d'une distinction entre un portrait et une photographie. Car, de même que les miroirs présents dans la mécanique de l'appareil photographique ne désignent pas la spécularité de la photographie, de même, la nature nécessairement spéculaire de l'autoportrait, comme d'ailleurs n'importe quelle autre forme de portrait, ne saurait venir désigner aucune proximité avec l'essence de la spécularité. [10]Une photographie ne désigne donc pas le témoignage d'un tiers nous ayant vu voir, en tant que ce tiers est homme. [...]
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