Le terme inventer est polysémique. En son sens le plus ancien, inventer est synonyme de trouver. L'inventeur d'un trésor est celui qui l'a découvert. Dans ce sens, on peut dire en première analyse que la méthode permet d'inventer, c'est-à-dire qu'elle est une activité qui rend possible la découverte d'un objet précis : la vérité. Inventer est aussi synonyme de créer, d'engendrer. Or, de ce point de vue également, la méthode, définie comme un ensemble de règles énoncées en vue d'atteindre une fin déterminée, peut permettre d'inventer i.e. de produire une science, d'engendrer des vérités. En effet, par opposition à la logique, la méthode se caractérise par son efficacité et sa valeur gnoséologique ; une méthode permet de produire des vérités, et, par là même, d'augmenter la connaissance. Il semble donc acquis qu'une méthode permet d'inventer au sens où elle rend possible l'invention.
Cependant, penser et agir méthodiquement autorise-t-il à penser ou à faire toutes les choses possibles selon des modalités infinies ? Posséder une méthode donne-t-il une quelconque légitimité à toutes sortes d'inventions ? En effet, la méthode se caractérise par sa dimension prescriptive : elle énonce des règles à suivre dans l'ordre de l'action et de la pensée. Elle n'autorise donc pas tout ; elle pose des contraintes et garantit une relative certitude des fondements, ce qui s'oppose à la totale liberté et au flou dont l'invention peut être synonyme dans certains cas. La question des principes de la méthode est ici centrale. Sur quoi fonder une méthode et cela permet-il d'accéder à toutes les vérités ? De plus, inventer est synonyme d'imaginer. La méthode peut-elle et doit-elle laisser sa place à l'imagination ? Bien souvent, la méthode est définie comme un ensemble de procédés rationnels. Or, l'imagination peut s'opposer au processus rationnel lorsqu'on la considère comme une faculté qu'on laisse aller là où elle veut, sans direction précise. Caractériser l'imagination de la sorte, c'est postuler un sujet passif alors que la méthode exige une attention constante du sujet pensant.
Cependant, n'accepter de la méthode que ce qui relève de l'entendement, n'est-ce pas une gageure ? Les contraintes qui assurent la certitude des vérités découvertes ne risquent-elles pas d'enfermer la pensée dans un carcan stérile ? Or, la méthode se caractérise par son efficace. Peut-être faudrait-il alors penser le problème en d'autres termes. Si elle ne rend pas possible l'invention de toutes sortes de vérités, quelles vérités la méthode permet-elle d'inventer et surtout, qu'est-ce que cela révèle quant à la nature même de la méthode. La méthode est-elle une série de règles certaines mais inflexibles ou plutôt une prise en compte, par un sujet pensant actif, de son applicabilité ?
[...] Si l'invention est rejetée dans la méthode, c'est parce qu'elle est comprise comme une divagation de l'esprit et donc comme une entreprise non rationnelle. Mais n'est-il pas possible d'envisager un autre type d'invention qui ne relèverait pas de l'affabulation et supposerait un sujet pensant actif ? L'imagination ne peut-elle pas devenir un auxiliaire de la raison dans le processus de recherche de la vérité ? En d'autres termes, peut-on envisager une invention méthodique ? Comment réhabiliter la sensibilité dans le procédé méthodique ? Dans quelle mesure peut-elle faire partie de la méthode ? [...]
[...] Dans une lettre à un inconnu il dit qu'il a écrit ces essais pour montrer que cette méthode s'étend à tout Par exemple, dans la Dioptrique il va mettre en application les principes de sa méthode pour trouver des vérités. En première analyse, il semble donc que la méthode permette d'inventer des vérités dans le sens où elle facilite leur découverte en guidant l'esprit humain dans sa recherche. Mais justement, l'esprit est guidé. Or, inventer est synonyme d'imaginer et l'imagination est une faculté qui ne se laisse pas guider mais vagabonde sans chemin tracé. La méthode permet-elle, i.e. autorise-t-elle l'invention ou l'imagination de n'importe quelle vérité ? [...]
[...] Dans ce sens, la méthode ne permet pas d'inventer, c'est-à-dire d'imaginer totalement des vérités. C'est l'opposition entre raison et imagination qu'il convient alors d'examiner. En effet, Descartes, dans la seconde des Méditations métaphysiques, distingue très clairement ce qui relève de la raison et ce qui relève de l'imagination. La raison dépend uniquement des l'esprit ; l'imagination relève des sens et donc du corps. Concernant l'énoncé Je suis, j'existe Descartes montre qu'il peut relever de l'imagination. Il écrit en effet : il est très certain que cette notion et connaissance de moi- même, ainsi précisément prise, ne dépend point des choses dont l'existence ne m'est pas encore connue ; ni par conséquent, et à plus forte raison, d'aucune de celles qui sont feintes et inventées par l'imagination Il met ici en évidence le fait que ce qui relève de l'imagination peut être mis en doute. [...]
[...] Cependant, il est impossible de définir tous les termes. Comme le montre Pascal, le souci de définition rigoureuse aboutit à une méthode impraticable et improductive. En effet, pour définir un terme, il faudra employer d'autres termes, lesquels devront être à leur tout définis, ainsi jusqu'à l'infini. Or, cela va aboutir à des incohérences. Par exemple, pour définir le verbe être nous sommes obligés d'employer ce verbe. Il est impossible de définir tous les mots sans faire intervenir le mot que l'on a à définir. [...]
[...] C'est donc une connaissance extra- intellectuelle qui est au fondement de la méthode. Or, la sensibilité pascalienne peut être rapprochée de l'imagination dans la mesure où toutes deux reposent sur les sens ou le sentiment et non plus sur la raison. C'est en ce sens que l'on peut réhabiliter l'imagination dans la méthode. La question qui se pose alors est de savoir à quel titre l'on peut encore affirmer qu'une démarche fondée sur la sensibilité peut être appelée méthode. Comment la méthode, définie en première analyse comme un ensemble de procédés rationnels, peut-elle rester une méthode si elle n'est plus fondée sur la raison ? [...]
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