La mémoire, comme capacité de conservation du passé, semble être indissociable de l'identité de l'individu. C'est en effet grâce à elle qu'il est capable de se reconnaître comme individu cohérent, qu'il peut s'attribuer une unité de sens au-delà des changements physiques et intellectuels qui surviennent au cours de sa vie. C'est ainsi que chacun conserve précieusement les photographies et vidéos de son enfance comme de précieuses reliques d'un passé révolu, mais encore bien présent à la conscience.
Cependant, si la mémoire se réduit à une simple aptitude à la conservation du passé, comment pourrait-elle être constitutive d'un phénomène aussi complexe que peut l'être l'identité individuelle ? Si personne n'hésite devant l'évidence d'être un « moi », individu unique et cohérent, l'identité ne peut se résumer à une simple accumulation de souvenirs. L'identité ne doit-elle pas, au contraire, se constituer comme unité de sens où chaque souvenir aurait un sens relatif à l'unité d'une pensée à laquelle chacun accorde une signification ?
[...] Mais le dialogue peut aussi se substituer à la mémoire là où celle-ci est défaillante. Dans son autobiographie, Perec recourt à l'aide d'un membre de sa famille pour remédier à ses pertes de mémoire, à ses confusions. En se racontant, on se raconte très souvent à autrui, que l'on ait recours au support écrit, à la publication ou au dialogue. L'autre doit alors être présupposé comme sujet lui aussi doté de raison qui peut, éventuellement, nous aider à interpréter ce qui est constitutif de notre identité. [...]
[...] Dès lors qu'il y a dialogue, la liberté doit pouvoir être tenue comme autonomie, c'est-à-dire capacité à se déterminer selon des règles qui nous apparaissent comme nécessaires. Ainsi, l'identité peut prendre un aspect moral jusqu'alors non envisagé. La volonté peut ainsi s'affirmer comme créatrice de l'identité qui, en fonction de la représentation que l'individu a de lui-même, existe dans le temps et est constamment soumise à réinterprétation. Si un individu ne reconnaît pas une de ses actions comme conformes à la représentation qu'il a de lui- même, il lui importe alors de modifier sa manière d'agir pour se reconnaître comme fidèle à lui-même, fidèle à ses représentations du bien. [...]
[...] Dès lors, dans cette conception, la mémoire n'est plus constitutive de l'identité, mais bien une des modalités sous lesquelles se présente cette substance pensante qui, elle, est l'identité. Cependant, l'expérience de Descartes semble ne pas pouvoir échapper à la faillibilité de l'entendement. En effet, c'est par l'opération de la raison qu'une telle substance peut être conçue. S'il est vrai que le doute est l'opération de la volonté, la raison reste seule capable de concevoir. Or si, ainsi que le fait remarquer Hobbes, la raison est faillible, rien ne permet d'affirmer que ce qu'elle peut concevoir aujourd'hui, une substance autonome sans corps sera concevable demain. [...]
[...] La mémoire si elle n'est pas seule constitutive de l'identité, contribue largement à la possibilité d'une compréhension de soi comme individu cohérent. Si celle-ci s'avère faillible et peut éventuellement conduire à une confusion entre le réel et l'imaginaire, elle participe de la synthèse identitaire constitutive d'une identité qui ne peut pas être réduite à une substance. En effet, l'identité est inscrite dans le temps, se découvre autant que ce qu'elle se construit et est toujours soumise à la réinterprétation. C'est pourquoi il apparaît essentiel que la liberté, autant comme possibilité de choix rationnel que comme autodétermination, soit le corrélat de la quête et de la construction identitaire. [...]
[...] Si le cogito attribue à celui qui en fait l'expérience la certitude d'être doté d'une raison naturelle, l'autre ne peut être considéré comme sujet que par analogie et donc seulement comme un hypothétique objet pensant. Si nous acceptons la solitude du cogito, ne nous privons-nous pas également de la possibilité de recourir à autrui pour saisir notre identité ? Ce que Descartes ignore dans son cogito, c'est le caractère nécessairement premier du langage. En effet, cette expérience, pour être menée à bien, doit non seulement être dite, mais découle surtout du dialogue par lequel l'individu est rattaché au monde qui l'entoure. [...]
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