La réflexion de Merleau-Ponty sur l'art ne doit pas être dissociée de sa philosophie tout entière. Cette philosophie est d'inspiration phénoménologique et doit beaucoup à Edmund Husserl (1859-1938). « Aux choses mêmes ! », telle est la devise de la phénoménologie, mais aussi son injonction : il faut retourner au réel, aux phénomènes, aux choses telles qu'elles se manifestent. En phénoménologie, les phénomènes ne sont en rien illusoires : ils constituent le mode d'être de l'apparition d'un objet à la conscience d'un sujet. Cette manifestation phénoménale est la seule chose qui soit sûre, le reste doit être mis entre parenthèses (...)
[...] Lui qui regarde toutes choses, il peut aussi se regarder, et reconnaître dans ce qu'il voit alors l' autre côté de sa puissance voyante. Il se voit voyant, il se touche touchant, il est visible et sensible pour soi-même. Lorsque Merleau-Ponty parle d'« indivision du sentant et du senti il signifie que voir ne consiste pas à s'approprier une extériorité mais que l'expérience de la vision révèle une indistinction entre ce qui vient de l'intérieur et ce qui est reçu de l'extérieur. [...]
[...] L'art et l'histoire ont non seulement en commun la contingence, mais également une capacité similaire à s'étonner et à étonner face au sens du monde qu'ils mettent au jour et font advenir. Il importe de préserver la liberté de penser le monde hors du cadre que la science lui impose et qui veut, par exemple, que le corps soit pensé à l'image d'une machine, le fait historique à travers le prisme d'un déterminisme universel, etc. L'art ou l'histoire nous révèlent qu'on peut toujours s'étonner du monde, qu'il ne saurait se laisser enfermer dans une seule catégorie de pensée où il serait prévisible et précis. [...]
[...] Merleau-Ponty pense que Cézanne s'efforce de rendre la nature libérée des activités humaines qui viennent toujours se surimposer sur elle. La vision n'est pas que la perception de perspectives géométriques, elle est en mesure de saisir la profondeur, d'aller par-delà la netteté et les certitudes convenues. C'est la raison pour laquelle Cézanne ne cerne pas d'un trait distinct les choses qu'il peint, il multiplie les contours, brouille les évidences, fait fuir les apparences, transforme le monde en un organisme de couleurs Ce travail vivant de la couleur permet alors de dépasser l'alternative de la matière et de la forme, alternative qui s'inscrit dans cet ensemble d'oppositions toutes faites et dont il faut se défaire si l'on veut revenir à ce qui est en vérité. [...]
[...] Aussi Merleau-Ponty montre-t-il comment nous sommes, pour ainsi dire, passés à côté de la profondeur, de la couleur ou de la ligne. La profondeur, la dimension non-dimension La profondeur, comme on le pense pourtant, ne saurait se concevoir objectivement comme la troisième dimension Elle est peut-être bien la première, en vérité, tant elle brouille, précisément, les dimensions. C'est ce que nous montre la peinture de Cézanne : Une dimension première et qui contient les autres n'est pas une dimension, du moins au sens ordinaire d'un certain rapport selon lequel on mesure. [...]
[...] Ils n'en sont que les rameaux et l'on doit renoncer à tenter de réduire la peinture à l'un de ses rameaux. Il en est de même de l'Être, qu'on doit toujours tenter d'aborder dans sa totalité. Mais la peinture reste irrémédiablement indéfinie, ne serait-ce que parce qu'elle est toujours à refaire, ainsi que nous le prouvent l'histoire de l'art, ou encore la soixantaine de Montagne Sainte-Victoire peintes par Cézanne : L'“instant du monde que Cézanne voulait peindre et qui est depuis longtemps passé, ses toiles continuent de nous le jeter, et sa montagne Sainte-Victoire se fait et se refait d'un bout à l'autre du monde, autrement, mais non moins énergiquement que dans la roche dure d'Aix. [...]
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