L'expérience vécue est-elle nécessairement vague ?

Résumé du document

Réponse argumentée et structurée à la question initiale "l'expérience vécue est-elle nécessairement vague ?". Le problème se laissera décliner en plusieurs interrogations originaires : quelle légitimité doit être accordée à l'expérience vécue ? Qu'est-ce qui la fonde et à quoi donne-t-elle accès ? Comment ? Engendre-t-elle nécessairement une connaissance qui manque de rigueur ?

Extraits

[...] Mais une expérimentation reste un mode déterminé d'expérience vécue, l'expérimentation est un cas d'expérience vécue. On a donc à un premier niveau une expérience vécue inutile puisque elle ne révèle rien de l'objet sinon qu'il est perçu par moi, et un deuxième niveau qui où s'ordonne, s'organise, est prévu le sens de l'expérience vécue, à savoir, où l'on fixe le rapport entre la manière de mesurer et la chose mesurée. Michel Serres appelle ainsi ces deux états subjectifsubjectif et subjectif-objectif L'expérience vécue est vague, indéterminée, lorsqu'elle consiste en la perception d'un monde objectif variant sans cesse, qui ramène finalement à la conscience; et elle est précise, objectivante lorsqu'elle est issue d'un protocole, qu'elle se déroule dans des conditions de complexité minimale (épuration d'une goutte de cire) et qui procède d'un rapport du sujet à l'objet: l'objet est vécu sur un certain mode, dans une certaine unité de mesure, traversé par un certain flux, etc. [...]

[...] On peut continuer à le voir et mieux le comprendre en montrant comment l'expérience vécue se déroule sans objectif a priori. C'est-à-dire qu'il faut rendre à l'expérience vécue son aspect de condition d'indétermination et non de finalité pour la nature humaine. Descartes, Bachelard, Serres: trois états de l'expérience vécue Si l'on prend un autre exemple non moins célèbre de Descartes, celui du morceau de cire, on peut comprendre la réduction opérée (ce qui aboutit à la suspension du jugement) comme une suppression d'une expérience qui n'apprend rien: le morceau de cire approché par hasard d'une source de chaleur vive, change de texture, d'odeur, de couleur, de température, etc. [...]

[...] L'expérience vécue s'imprime ainsi de façon incontrôlable et cependant éminemment certaine dans la mémoire. Elle peut donc ressurgir sous forme d'actes individuels et involontaires, mais elle peut aussi s'exprimer d'une manière plus consciente ou plus collective: les attitudes, les règles de 7 vie, le travail artistique, les moeurs sont autant de champs d'expression, de mise en forme ou en valeur du vécu. Ici encore on sera redevable à Bachelard d'avoir révélé l'inconscient de la matière (la psychanalyse des éléments et les tempéraments poétiques), qui ouvre sans le savoir la voie du troisième état de l'expérience concernant les objets dans leurs rapports entre-eux. [...]

[...] Ce qui change dans la conception kantienne c'est le cadre dans lequel elle peut avoir lieu: il s'agit en effet soit de ce qui accompagne toute connaissance du réel, c'est l'aperception empirique, soit de ce qui confère l'unité au divers de la pensée, et il s'agit là de l'aperception transcendantale. La conscience a dédoublé son univers. Il n'y pas le point de vue unique d'une monade qui perçoit puis aperçoit, mais le point de vue double de la raison qui expérimente et juge. Il y aurait ainsi une aperception empirique correspondant à l'expérience vécue, et une aperception transcendantale qui serait de l'ordre du jugement qui accompagne cette expérience vécue. [...]

[...] La rigueur d'une telle forme de l'existence pourrait provenir de son caractère inévitable et constructif de sens pour le sujet, et non de la logique de l'objet. Quelle légitimité doit être accordée à l'expérience vécue? Qu'est-ce qui la fonde et à quoi donne-t-elle accès? Comment? Engendre-telle nécessairement une connaissance qui manque de rigueur? L'enjeu est de déterminer une signification particulière de l'expérience: celle qui est réalisée en première personne par rapport à l'expérience faite du point de vue d'une hypothétique troisième personne, le il de l'objectivité. Est-ce que l'expérience en tant qu'elle est subjective, vécue, et non objective ni conçue, révèle une réalité incertaine? [...]