“Devoir de mémoire", "lieux de mémoire", "obsession mémorielle", "saturation de la mémoire", "concurrence des victimes", "politiques de mémoire" : face à une mémoire envahissante et souvent dans tous ses états, l'historien cherche à repréciser son rôle : ni accompagnement des victimes, ni juge, ni romancier. L'historien veille à échapper à la tyrannie des groupes, il oppose l'histoire collective aux mémoires particulières. L'histoire naît de la mémoire et s'en affranchit en mettant le passé à distance. La mémoire participe du travail de l'historien ; la représentation historienne du passé exerce une influence sur les mémoires. La mémoire est clairement objet d'histoire.
Une vague mémorielle s'est abattue sur la France de manière peut-être plus intense que dans le reste du monde dans le milieu des années 1970, sous l'effet de trois phénomènes principaux : le contrecoup de la crise économique, les retombées de l'après De Gaulle et l'exténuation de l'idée de révolution. On voit alors naître de puissants mouvements d'émancipation de groupes sociaux, chacun revendiquant sa mémoire et la reconnaissance de cette mémoire par la nation. On passe de l'idée d'Histoire nationale telle qu'elle était conçue sous la III° République à l'idée d'une Mémoire nationale, elle-même submergée par les mémoires de groupe. Ainsi se transforment les rapports entre la Mémoire et l'Histoire. Face à un devoir de Mémoire envahissant, il semble falloir affirmer un devoir d'Histoire.
Pourtant, l'allemand distingue les deux acceptions du mot histoire. « Historie » : le discours des historiens, celui qu'ils s'efforcent de tenir pour rendre compte d'une réalité sociale en devenir, nommée « Geschichte ». L'Histoire est censée reposer sur un consensus, mais son compte-rendu est ambivalent. La mémoire, quant à elle, fait d'abord appel à un processus individuel. Mais on parle de mémoire collective, qui implique : mémoire d'un groupe, plus ou moins étendu. La mémoire ne constitue jamais un consensus car elle comporte une part plus ou moins consciente d'interprétation, qui crée des divisions.
Si, comme l'écrit Pierre Nora, « la mémoire divise et l'Histoire réunit », cela implique que l'une et l'autre sont différentes et contradictoires, qu'elles ne répondent pas aux mêmes attentes et ne produisent pas les mêmes effets. Le lien qui unit Histoire et mémoire et précise leurs rôles, semble alternativement condamner l'une ou l'autre. Dès lors, dans quelle mesure les effets qu'elles produisent sont-ils susceptibles de créer ou de mettre à mal une cohésion humaine fondée sur un passé objet de déchirements ?
Il s'agira de voir dans un premier temps que les liens qui unissent Histoire et mémoire sont assez complexes pour rendre l'unification des hommes autour de leur passé très problématique. Nous verrons par la suite que la mémoire, objet d'instrumentalisation, peut conduire à transformer l'Histoire et faire éclater la cohésion humaine d'une part et sa propre nécessité en tant qu'impératif d'autre part.
[...] Pourtant, Hérodote affirme que son but est " établir, enfin et surtout, la cause de la guerre qu'ils se sont livrée. " L'histoire n'est donc déjà plus récit, mais science parce qu'enquête sur les causes. Cette question des causes, évidemment, est la croix de l'épistémologie de l'histoire : l'histoire n'est une science que si elle peut être enquête sur les causes, mais qu'est-ce qu'une cause en histoire ? C'est là l'objet des controverses les plus dures. La science historique se construit d'abord par une patiente déconstruction d'une mémoire pleine de failles. mémoire est subjective. Elle s'inscrit toujours dans un vécu. [...]
[...] Mais le souci de donner cohérence à un fouillis de faits n'élimine pas le risque d'interprétation. Ex : L'exemple de Michelet est intéressant : il a formé son projet d' Histoire de France selon un certain mysticisme nationaliste. Selon lui, La France est une personne qui grandit et dont l'histoire n'a qu'à rédiger la biographie. A force de réfléchir sur l'Histoire, il donne un sens à son histoire. Michelet interrompt son travail au début du XIX° siècle parce que la Restauration lui paraît aller à rebours de l'Histoire. [...]
[...] La tâche de l'enseignement de l'Histoire : objet de divisions politiques et pédagogiques. Si on considère qu'une nation n'est ni un fait de nature ni seulement un acte de la raison comme dans le Contrat Social de Rousseau, on comprend bien quel rôle politique fondamental y joue cette mémoire collective. C'est pourquoi on attend de l'enseignement de l'histoire qu'il serve ce qu'on appelle maintenant " devoir de mémoire autrement dit qu'il s'insère comme un élément fondamental dans la construction d'une mémoire collective dont, à tort ou à raison, une partie des politiques pense qu'elle est le remède au délitement du lien social auquel nous sommes confrontés. [...]
[...] Etymologiquement, le mot histoire dérive du grec histôr celui qui sait. Il devrait être, par conséquent, synonyme de savoir. Or peu à peu, le sens s'est spécialisé pour ne rendre compte que d'un savoir particulier, celui du passé humain. **L'Histoire est de la mémoire rangée. Il semble en effet que l'histoire soit d'abord de la mémoire, systématisée et rangée. Notre propre passé, nous le connaissons par la mémoire. L'histoire semble aller de soi. L'histoire ne se contente-t-elle pas de raconter l'histoire, d'en faire le récit ? [...]
[...] La mémoire est instrumentalisée à des fins politiques hypocrites, quand elle doit être utilisée à des fins morales. Si l'enseignement de l'histoire a un sens, s'il est éminemment formateur, c'est seulement à condition de se dégager radicalement des impératifs sociaux de la mémoire collective, à condition de se dégager de l'obsession des préoccupations "contemporaines". C'est-à-dire en renonçant à vouloir forger une mémoire collective source de conflits et de divisions. [...]
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