S'interroger sur les notions de matière et d'esprit c'est s'interroger, semble-t-il, sur le tout de la réalité. Que peut-il en effet y avoir d'autre, dans le monde, que des choses matérielles (y compris les êtres vivants) et des choses spirituelles ; des choses qui ne pensent pas et des choses qui pensent ? Mais cette subdivision du tout de l'être en matière et esprit est problématique. Problème, tout d'abord, de l'union, en l'homme, de la matière (le corps) et de l'esprit (l'âme). Car s'il s'agit là de deux substances ontologiquement distinctes, comment peuvent-elles s'unir l'une à l'autre et interagir, ainsi que l'expérience nous l'atteste à chaque instant ? Problème, aussi, que cette dichotomie même creusée au sein de l'Etre. Elle présuppose ce qui, en réalité, peut être remis en question : à savoir que le réel est ontologiquement double. Et si seule la matière existait réellement ? Et si l'esprit, au contraire, était la seule réalité ? Mais alors, quel statut faut-il accorder à ce que nous appelons « esprit » dans le premier cas et à ce que nous entendons par « matière » dans le second ? C'est à ces questions que les analyses qui suivent vont tenter de répondre.
Partons de ce qui paraît le plus facilement identifiable et définissable : la matière. Qu'est-ce donc que la matière ?
La matière, en première approche, c'est ce qui peut se voir, se sentir, se toucher. La matière, c'est le sensible. Non pas la sensation ou l'impression sensible elles-mêmes, données subjectives, mais leur objet qui est aussi cela même qui les produit. La matière, c'est donc le réel en tant que nous pouvons en avoir une expérience sensible et, pour parler comme Kant, une expérience externe.
Mais il faut préciser aussitôt que cette expérience n'est pas toujours directe ni immédiate. Les particules élémentaires de la matière que la physique nous fait connaître ne sont pas, en effet, directement observables. À tel point, d'ailleurs, qu'elles apparaissent tout autant comme des constructions conceptuelles définissables par des équations mathématiques que comme des objets d'expérience ou d'expérimentation.
[...] Appliqué à la réalité humaine, le dualisme affirme que l'âme et le corps sont deux choses distinctes qui peuvent, au moins en droit, exister séparément. Ainsi chez Descartes, pour qui le corps, substance étendue (l'étendue, ou l'espace, étant l' «attribut principal de la matière, c'est-à-dire ce par quoi elle est connue ou connaissable), ne peut pas davantage penser que l'âme substance pensante ne peut être étendue (occuper une portion d'espace), ce qui suppose qu'ils soient réellement distincts. La spiritualité de l'âme (dont l'essence est de penser, tout comme il est de l'essence des corps matériels d'être étendus) est directement impliquée dans l'expérience du cogito : s'il est certain que je pense et que je suis, alors même que l'existence des corps matériels extérieurs et celle de mon propre corps sont douteuses, alors je ne puis être qu'une substance dont toute l'essence ou la nature est de penser c'est-à-dire un esprit, une âme. [...]
[...] Le monisme s'oppose donc, dans tous les cas, au dualisme, qui pose l'existence de deux substances (Descartes) ou de deux mondes (Platon, Kant). Si donc le monisme n'affirme l'existence que d'une seule substance, d'un seul principe de réalité, quel statut confère-t-il à ce que le dualisme pose comme seconde substance ? Quel est le statut de la matière dans un monisme spiritualiste et quel est le statut de l'esprit dans un monisme matérialiste ? Commençons par envisager le monisme spiritualiste. [...]
[...] C'est le point, entre les deux camps (matérialistes et spiritualistes ou idéalistes), où l'opposition est la plus nette. Là où l'idéaliste dirait : j'ai un corps ce qui suppose qu'il soit autre chose, le matérialiste dira plutôt : Je suis mon corps Mais que ce soit mon corps et plus particulièrement mon cerveau qui pense, ce n'est pas une raison pour renoncer à penser ; c'en est une, bien au contraire, pour penser le mieux qu'on peut (puisque toute pensée en dépend). [...]
[...] L'ordre du monde n'est donc pas le résultat d'un plan raisonnable ou d'une intelligence divine, mais du hasard qui ne fait qu'un avec la nécessité aveugle du jeu des combinaisons atomiques. Le matérialisme marxiste. Le matérialisme de Marx et de Engels aura un autre visage, mais il n'en considérera pas moins la nature comme la seule réalité Ce qui ne l'empêchera pas d'être aussi un matérialisme historique dès lors que l'histoire procède de l'organisation physique de ces individus (les hommes) et rapport qui en découle pour eux avec le reste de la nature (Idéologie allemande). [...]
[...] Le dualisme paraît donc tout à fait conforme à l'expérience spontanée que nous avons des choses et de nous-mêmes. Les choses matérielles que nous observons de l'extérieur ne pensent pas et lorsque nous nous observons nous- mêmes de l'intérieur, il nous semble bien que ce n'est pas en tant que corps que nous pensons, mais qu'il y a en nous un principe, ontologiquement distinct du corps, qui nous rend capables de penser. Le dualisme confirme aussi, comme nous venons de le voir, l'expérience que nous faisons de l'union en nous de ces deux réalités distinctes que sont l'âme et le corps. [...]
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