L'expression "est-il vrai" laisse entendre que l'idée que l'on peut tirer de tout mal un bien est une idée commune, une idée reçue : "A tout malheur quelque chose est bon" - dit-on . Mais peut-on tirer de tout mal, quel qu'il soit, un bien? Encore faut-il savoir ce qu'on entend par "tirer" et ce qu'on désigne par "mal". Si l'on dit qu'on tire ou retire un bien d'un mal, c'est que l'on pense qu'un bien pourrait être la conséquence, le résultat, le fruit d'un mal; qu'on pourrait extraire ce fruit du mal subi ou commis; ce qui ne signifie pas que le mal soit un bien - par définition il ne l'est pas - mais qu'il est possible d'en dégager un bien, comme il est possible de dégager de l'or d'une pierre terreuse apparemment sale et laide, ou un trésor d'un endroit sordide... Le mal, bien que ressenti et vécu comme mal, comme ce qui n'aurait pas dû être, pourrait toujours être à l'origine d'un bien. Tout mal serait porteur, en dépit des apparences, d'un bien (...)
[...] et qu'il n'est pas vrai que celui qui subit l'injustice est toujours plus heureux que celui qui la commet. Il y a des maux dont même la punition ne produit aucune réparation ni aucune consolation, des maux dont on ne tire que du mal, d'une façon plus radicale encore que ne le pensaient Socrate et Platon : le mal n'est pas défaut de bien, mais producteur de mal. Pire, il y a des maux qui font désespérer de Dieu, d'une éventuelle réparation divine, et a fortiori de son amour et de sa pitié. [...]
[...] De la souffrance du châtiment, qu'il reconnaît juste, le coupable en retire au contraire un bien : le bien de l'âme, en d'autres termes du bonheur. Du mal commis, au sens d'une injustice commise on ne peut tirer que du mal. Et d'une injustice subie on ne tire pas davantage de bien. Celui qui subit une condamnation injuste n'en sera pas meilleur pour autant. On tire un bien de la justice seule ( et en ce sens, du châtiment parce qu'il restaure la justice). Socrate n'est pas heureux de subir une injustice en étant condamné à mort pour impiété. [...]
[...] Or au XXe siècle, les horreurs du nazisme et du stalinisme ont bien plutôt révélé les illusions grandioses d'un Hegel et d'un Marx. Ces horreurs ont été portées à un tel degré qu'on ne pouvait plus en tirer des motifs d'espérance en un progrès de la raison et de l'esprit humain, ni de croyance en une rationalité de l'histoire. "Dieu est mort", a dit Nietzsche. Après avoir cru dans la bonté et la justice d'un Dieu dans l'au-delà, nous l'avons mise ici-bas dans la destinée de l'humanité. [...]
[...] On peut même tirer du mal un bien supérieur à celui qu'on peut tirer de ce qui est simplement bon et irréprochable. L'attitude concrète du chrétien envers ses semblables le suggère : c'est en tentant de sauver les cœurs les plus endurcis, les âmes les plus égarées, en se préoccupant du sort des pécheurs, des criminels . que le prêtre, le pasteur, le chrétien militant va donner toute la mesure de sa foi : c'est peut-être là que, paradoxalement, il se réjouira, aussi rare que ce soit, des conversions spectaculaires, des repentances inespérées . [...]
[...] Mais l'inverse apparaît impossible : le mal - qui n'existe que par défaut du bien - ne produit rien; il est par définition stérile; du mal on ne tire que du mal. Et pourtant les choses apparaissent beaucoup plus complexes que cela dans le christianisme. Le christianisme se démarque en réalité du platonisme et du néoplatonisme - y compris chez un auteur comme saint Augustin, pourtant fortement influencé par Plotin. Pour une raison simple : c'est l'homme qui est à l'origine du mal. Le mal n'existe donc pas - ou pas seulement - comme défaut du Bien (de la lumière divine). Il existe pleinement comme s'opposant à la volonté divine. [...]
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