Comme Antoine Doinel, il y a des mots prononcés que l'on peut regretter. Il est même des situations plus graves où nous voudrions pouvoir effacer des paroles proférées. Les regrets les remords qui s'attachent à certaines choses dites ne sont-ils pas le signe que nous ne sommes pas toujours maîtres de nos paroles ? Notre parole dépasse nos pensées ou ne parvient pas à l'exprimer, dans tous les cas nous ressentons parfois une impuissance à contrôler nos mots (...)
[...] Aussi, peut-on réellement dire que celui qui commet un lapsus n'est pas maître de sa parole ? Au fond, le président qui déclare la séance close souhaite réellement en finir avec ce qui lui apparaît comme une corvée insupportable. Il n'en est peut-être pas conscient mais c'est bien là sa pensée profonde. Le lapsus loin d'exprimer le contraire de ce qu'il voudrait dire, vient mettre au jour la vérité de ses sentiments. S'il peut arriver que nous ne soyons pas conscients de ce qui motive une parole, cette parole n'en est pas moins l'expression de notre désir. [...]
[...] Si je ne suis pas réellement maître de mes paroles au sens ou le rapport que j'entretiens aux mots ne peut être pensé comme un rapport purement instrumental, je peux, et sans doute je dois, m'en rendre maître au sens cette fois où je dois me penser responsable de ce que je dis. Finalement, c'est en prenant conscience de l'horizon éthique où se déploie toute parole que je peux parler en première personne, dire je, et par-là me poser comme l'auteur de ce que je dis. [...]
[...] Ainsi l'institution pourrait-elle affirmer : tu n'as pas à craindre de commencer ; nous sommes là pour te montrer que le discours est dans l'ordre des lois ; qu'on veille depuis longtemps sur son apparition ; qu'une place lui a été faite, qui l'honore mais le désarme; et que, s'il lui arrive d'avoir quelque pouvoir, c'est bien de nous et de nous seulement qu'il le tient. (Michel Foucault : L'ordre du discours). Poussant l'autonomie du discours à son paroxysme, il semble donc bien que Michel Foucault nous ôte toute illusion quant à une maîtrise possible de nos paroles. [...]
[...] C'est bien parce qu'il y a un autre à qui parler que je parle. Aussi, le sens profond de toute parole est la réponse à la seule présence de l'autre. En ce sens Emmanuel Lévinas peut-il dire dans Totalité et infini que la mise en question du moi, coextensive de la manifestation d'Autrui dans le visage - nous l'appelons langage. La parole est l'événement concret du langage. Penser la parole dans son inscription essentielle dans l'altérité c'est la lier fondamentalement à la question de la responsabilité. [...]
[...] Pourtant, si nous n'étions pas maîtres de nos paroles pourrions-nous tout simplement parler ? A l'instar des animaux, nous ne proférerions que des sons dépourvus de sens, simples réponses à des stimuli. Parler ne suppose-t-il pas, pour le moins, la possibilité de choisir des mots ou des phrases ? Il nous faut donc bien tenter de comprendre en quoi nous pouvons nous penser maîtres de nos paroles, et tenter de dépasser la contradiction entre une parole qui semble souvent échapper à notre contrôle et la nécessité pour parler de pouvoir nous penser à l'origine de ce que nous disons. [...]
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