Ce qui reste de la main dans son identification minimale, c'est donc son utilisation comme outil, comme instrument pour une fin qui lui est étrangère, et son statut d'outil particulier. C'est cette singularité de la main comme outil que nous nous proposons d'interroger : la main est-elle un outil comme un autre ? Si non, en quoi ne l'est-elle pas ? Est-ce en ce qu'elle permet l'emploi d'autres outils, est première dans la chaîne des instruments ? Ou bien tient-elle sa particularité de ce que sa maîtrise est indissociable de l'opération d'un esprit, ce qui signifierait qu'elle serait comme un outil « intelligent » ? Afin de briser cette alternative, nous commencerons par examiner la caractérisation a minima de la main en expliquant sa primauté par rapport aux autres outils par sa configuration physique spécifique (la possibilité de la prise et du maintien). En éclairant l'usage des choses rendu possible par cette configuration, nous dégagerons un certain rapport au monde et verrons jusqu'où une telle définition est satisfaisante, c'est-à-dire jusqu'où elle rend compte de son rapport tant à l'homme qu'à certains animaux. Si cette détermination s'avère insuffisante, nous serons amenée à étudier la main comme outil intelligent, ce qui nous obligera à nous focaliser sur la main humaine et nous permettra peut-être d'indiquer une manière de distinguer entre mains, car techniques, humaine et animale.
[...] Ce dernier n'est plus seulement possesseur du monde, il en est aussi le maître. Dès lors c'est un rapport au monde spécifiquement humain qui se dessine dans l'usage de la main, ce qui ne convient plus avec notre impératif préalable de ne pas enfermer la définition de la main dans son lien à l'humanité. Penser la main, c'est donc penser la main humaine ; mais cela ouvre un nouveau champ de définition, puisque la main est ainsi comme habitée par l'esprit humain. [...]
[...] La main est ainsi ce qui fait d'un objet un outil. Mais elle-même est-elle pour autant traitée comme un outil ? La faire transformer des objets en outils, est-ce la détourner de sa fin, lui imposer une fin qui lui serait extrinsèque ? N'est-il pas dans la fin même de la main d'être l'outil de maniement d'autres outils ? Il ne s'agit pas de tomber dans un débat sur le bien-fondé d'une lecture finaliste du corps, mais seulement de relever que la main, en tant que partie d'un corps, remplit une fonction à l'égard de ce corps. [...]
[...] Il y a bien là une fin qui lui convient et ne lui est pas imposée du dehors : sans dire que la main est faite pour le maniement, on peut observer qu'elle s'y conforme, que c'est une fin qui, si elle n'est pas à l'origine de la configuration physique de la main, ne lui est pas contraire mais naturelle, innée et non acquise. Qu'est-ce que cela nous dit sur la main ? Qu'elle est bien un outil, et un outil particulier en ce qu'il fonde tout autre usage d'outil. Elle signale donc que la capacité technique est essentielle à celui qui est doué de mains, humain ou animal. Cette capacité technique permet donc un maniement, mais aussi, à partir de là, une fabrication d'objets nouveaux. On retrouve ici l'homo faber auquel s'intéresse Bergson dans L'évolution créatrice. [...]
[...] Il semble qu'ici, la référence à la main soit dénuée de sens : je ne suis pas propriétaire des terres que je peux saisir dans ma main. Et pourtant l'idée d'une saisie reste présente. Locke aborde en effet le problème des enclosures, c'est-à-dire de la prise de possession de terres par leurs délimitations. Enclore une terre inutile pour en faire un usage, c'est s'en rendre possesseur. Locke insiste sur l'appropriation par l'usage : si celui qui enclôt la terre en prend possession, ce ne serait pas tant parce qu'il l'occupe que parce qu'il la fait fructifier. [...]
[...] C'est l'usage qui autorise à occuper, à saisir ; posséder, ce n'est donc pas tant faire usage que mettre la main sur quelque chose. Mais faut-il assimiler occupation et saisie ? Que reste-t-il de la main dans l'occupation ? Reprenons ici encore le cas des clôtures : elles délimitent une possession en ce qu'elles figurent une présence du possesseur. Occuper, c'est être présent, même de manière figurée ; or cette présence est aussi, avant tout, une saisie. Il ne s'agit pas seulement d'être là, mais d'être là dans un but précis, celui de s'emparer de la chose possédée. [...]
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