Epicurisme; Lucrèce; De natura rerum; poésie; Cicéron; plaisir; poème image du monde; protreptique et philosophie; art et philosophie
Il s'agit d'interroger la vocation poétique de Lucrèce, auteur du De natura rerum, vaste oeuvre en vers exposant et chantant la vision de l'univers selon la doctrine épicurienne, en se posant cette question: pourquoi Lucrèce, disciple fervent d'Epicure, a-t-il, avec cette oeuvre, fait ce que le maître du Jardin interdisait? En effet, Epicure, ainsi que le rapportent Diogène Laerce et Cicéron, a fermement condamné la poésie en tant que partie de la paideia et art de fausseté ne s'adressant pas à la raison. Après avoir exposé le climat intellectuel de l'époque de Lucrèce ainsi que la nature complexe des rapports entre poésie et épicurisme, nous verrons quelques hypothèses possibles expliquant cette vocation poétique du disciple, qui sont le plaisir, la fonction thérapeutique et protreptique de la poésie, et enfin le poème comme image du monde.
[...] En effet, on a retrouvé, et depuis peu déchiffré, la bibliothèque de Philodème, philosophe épicurien installé chez son disciple Pison (celui contre Cicéron qui Cicéron lancera les invectives de l'In Pisonem) où il réunissait les plus grands intellectuels épicuriens de son temps. Nous disposons donc de l'expression directe de l'épicurisme campanien au premier siècle, ainsi que de l'exposition de leur vision des autres écoles. Y a-t-il une relation entre cette école et Lucrèce ? Le problème reste entier. Dans les années 1980 ? le savant norvégien K. Kleve publie Lucretius in Herculanum, où il affirme avoir retrouvé à Herculanum un fragment du De Rerum natura, ce qui montrerait le lien entre Lucrèce et Herculanum. [...]
[...] Or rien de tel chez Lucrèce, pour qui il n'y a que deux épicuriens, Epicure et lui-même, tous les intermédiaires disparaissant. Poésie et épicurisme Lucrèce est le seul philosophe épicurien que nous connaissons. Philodème a certes été poète, mais il s'agissait de poèmes galants. Néanmoins, l'expression même de poésie épicurienne n'est-elle pas contradictoire ? Il y a là en effet une franche hétérodoxie. Philodème affirme qu'il n'y a pas de poème qui puisse contenir des pensées aussi élevées que celles de l'épicurisme. [...]
[...] Dans son ouvrage Qu'Epicure rend une vie agréable impossible, Plutarque met en lumière la contradiction suivante : Epicure rejette la poésie, mais il recommande à ses disciples de s'attarder dans les banquets, les festivals, les spectacles En réalité, il n'y a pas là de véritable contradiction : pour tout plaisir Epicure conçoit un usage bon et un usage immodéré. Le sage peut donc tirer un plaisir immédiat du spectacle et de la poésie, mais pas de révélation de nature philosophique. Le bon usage de la poésie est de la prendre pour ce qu'elle est, c'est-à-dire quelque chose qui peut procurer un plaisir immédiat. Aller au-delà, c'est commettre une faute philosophique, et entrer dans le domaine de la doxa. Mais Lucrèce est en contradiction avec cette vision. Est-ce lié à une évolution des choses ? [...]
[...] Les guerres de Mithridate accentuent le mouvement et provoquent un exil des plus grands intellectuels athéniens vers Rome, comme Zénon de Sidon. En 88, Philon de Larissa, scholarque de l'Académie, successeur direct de l'Académie, quitte Athènes et s'installe à Rome où il a pour disciple Cicéron. Le stoïcien Posidonius, quoiqu'il habitait à Rhodes, a fait au moins deux voyages à Rome. Sylla ramène les manuscrits ésotériques d'Aristote. Tout cela contribue à faire de la Ville le centre intellectuel de la Méditerranée. [...]
[...] Alors, pourquoi Lucrèce a-t-il fait ce que le maître du Jardin lui interdisait ? L'époque de Cicéron et de Lucrèce est exceptionnelle en ce sens que pour la première fois la philosophie est confrontée à sa vocation d'universalité, et que le latin en devient un véhicule. Face à ce fait, il y a deux attitudes. Lucrèce considère que la création d'un lexique philosophique latin se fait malgré la résistance de la langue latine : c'est le thème de l'egestas patrii sermonis, le caractère misérable de la langue héritée des ancêtres. [...]
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