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1. Ce que la pensée doit aux autres : la pensée s'élabore dans le langage, nous ne pensons que dans les mots. Or, ces mots nous ont été légués par notre société, cette dernière est donc présente dès la naissance de notre pensée. De plus, si nous ne pensons que dans les mots, nous ne pouvons penser que ce que le vocabulaire de notre langue nous permet de penser. Le langage est à la fois la condition et la limite de la pensée. Il rend cette dernière tributaire d'un contexte social.
2. D'autre part, c'est souvent par le dialogue que la pensée peut se développer (on peut penser ici aux trois maximes kantiennes du sens commun). Notre pensée nous oriente donc vers la rencontre de l'autre. Il convient de remarquer l'ambiguïté du dialogue qui peut à la fois permettre à la pensée d'échapper aux préjugés par l'ouverture à autrui, mais qui rend également possible l'influence voire la manipulation.
3. La pensée n'est pas naturelle mais résulte d'un apprentissage, mais l'apprentissage de la pensée ne peut être isolé du processus de socialisation. Ainsi, les valeurs et les codes d'une micro-société vont s'imposer à l'individu d'une manière non-consciente et coercitive. L'éducation n'est donc pas seulement l'apprentissage de la pensée, c'est aussi l'intériorisation de valeurs et de normes que l'individu finira par croire « naturelles » et qui détermineront ses choix et ses désirs (on peut penser ici aux analyses de Pierre Bourdieu).
4. Ce que nous venons de dire nous conduit à nous interroger à nouveaux frais sur le sens de l'expression « penser ce que je veux ». Dans la mesure où mes désirs et mes volontés sont influencés par mon milieu (par le biais de la socialisation et des conditionnements de toutes sortes), penser ce que l'on veut revient à penser en restant prisonnier de certaines contraintes sociales. Penser ce que je veux ne serait donc pas une garantie de la libre pensée puisque je pense toujours selon des désirs qui ont été façonnés par les codes et les valeurs de mon entourage social (...)
[...] Penser ce que l'on veut ne serait donc pas la garantie d'une libre pensée. S'il nous semble permis de penser ce que nous voulons, force est de reconnaître que notre volonté elle-même n'est pas toujours libre. Se croire libre parce que nous sommes capables de vouloir nous paraît donc être une illusion. Penser ce que je veux n'est pas nécessairement la garantie d'une pensée libre dans la mesure où la volonté est toujours soumise à un certain nombre de contraintes dont nous n'avons pas conscience. [...]
[...] Puis-je penser que ce que je reconnais comme faux est vrai? La réponse de Descartes est sans ambiguïté: lorsqu'une raison très évidente nous porte d'un coté, bien que, moralement parlant, nous ne puissions guère aller à l'opposé, absolument parlant, néanmoins, nous le pourrions écrit-il dans la Lettre à Mesland du 9 février 1645. Nous n'avons donc pas le droit d'affirmer le faux tout en connaissant le vrai. Moralement parlant, nous ne pouvons penser que ce que nous reconnaissons comme faux est vrai. [...]
[...] C'est précisément par le respect des exigences internes de la pensée que cette dernière pourra échapper aux contraintes sociales. C'est ce que Kant cherchera à dire en formulant les maximes du sens commun La liberté de pensée n'est donc pas une donnée définitivement acquise, elle se gagne sur les contraintes qui portent immédiatement sur ma pensée. Je deviens libre lorsque je pense véritablement, c'est-à-dire lorsque je veux me soumettre aux exigences définies plus haut. [1]Kant, Qu'est-ce que les Lumières? [...]
[...] Suis-je libre de penser ce que je veux? Cette question semble mettre en doute ce qui paraissait comme définitivement acquis. Ainsi, pour Kant, croire que l'on pourrait conserver la liberté de penser sans que nous soit accordée une liberté de dialoguer est une parfaite illusion : penserions-nous beaucoup, et penserions-nous bien, si nous ne pensions pas, pour ainsi dire en commun avec d'autres, qui nous font part de leurs pensées et auxquels nous communiquons les nôtres? Tout porte donc à croire que notre pensée n'est pas si autonome que cela, comme si la vie en commun imposait des contraintes à ce qui apparaît comme la marque de la subjectivité la plus profonde. [...]
[...] Ce vouloir défini par le fait même de penser est en même temps celui qui est à l'origine de ma pensée. Je ne cherche à penser que parce que j'ai le goût de la logique, de la vérité et de la morale, et d'autre part en acceptant de penser je dois vouloir respecter ces trois éléments. En ce sens, penser véritablement revient bel et bien à penser ce que l'on veut, non pas au sens où l'on pourrait élaborer sa pensée selon ses caprices, mais au sens où l'on ne peut penser sans vouloir la logique, la vérité, la morale Une telle pensée, porteuse de ces exigences est une pensée qui peut prétendre être libre. [...]
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