Comme n'importe quel philosophe, Heidegger hérita de la lourde tâche d'opérer une synthèse entre ses prédécesseurs. Les trois penseurs devant lesquels il se trouvait admiratif étaient Edmund Husserl, Wilhelm Dilthey et Henri Bergson. D'autres auteurs, bien entendu, participaient à la formation de sa pensée, mais ces trois-ci en constituaient le fond. Les cours de 1919-23 expriment le résultat de cette synthèse. Celle-ci réunit le concept d'historicité de Dilthey, la méthode phénoménologique de Husserl et l'identification bergsonienne de la vie au mouvement du temps. Considérons d'abord les théories de Dilthey et de Bergson. Toutes deux relèvent de ce courant, hérité de Nietzsche, nommé « Philosophie de la vie ». La philosophie de la vie s'oppose à l'idéalisme et au matérialisme. Selon elle, la vérité n'est à rechercher ni dans l'esprit humain ni dans le monde objectif, car aucune de ces entités ne prévaut sur la vie elle-même. La philosophie de Nietzsche affirme ainsi avec véhémence l'absence de fondement de toute valeur qui n'accompagne pas la vie en tant que telle, c'est-à-dire qui n'accroît pas la vie. La philosophie de la vie, dès lors, consiste à essayer de saisir la vie dans sa vitalité sans la recouvrir par une construction théorique dénaturante. Mais une telle entreprise n'est pas sans soulever un problème de taille, celui de l'hétérogénéité qui oppose le mouvement de la vie et la fixité du concept. Un concept se définit comme une construction de l'esprit qui, par l'entremise d'un mot ou d'une expression, circonscrit la structure d'un phénomène récurrent. La structure de la vie est-elle de même nature que celle des objets ? Le courant en question affirme justement que la vie ne se réduit pas au monde, c'est-à-dire à la totalité des objets, mais qu'elle outrepasse cette totalité en tant qu'elle l'anime, en tant qu'elle n'a de cesse de la mettre en mouvement. La « vie » serait précisément le mouvement qui fonde et accompagne la totalité des objets. Revenir à la vie consisterait alors à fuir la complexité des objets pour retrouver la simplicité du mouvement pur. Mais ce mouvement, nous le comprenons maintenant, n'offre guère de prises au langage. Sa simplicité, son incessante dynamique, empêchent sa saisie par l'esprit conceptuel. Tout le débat opposant les philosophes de la vie aux néo-kantiens va reposer sur cette question fondamentale : Une saisie théorique de la vie est-il possible ?
[...] Comme si la libération s'identifiait littéralement à la compréhension et à l'intensification par un individu de sa propre vie. La pensée de la liberté qui caractérise la première période philosophique de Heidegger se trouve tellement liée à la phénoménologie de la vie que nous ne pourrons la 21 en même temps un Lettres à Elisabeth, 1er mai 1919, cité dans Heidegger et son temps, de R. Safranski, p Jules Donzelot (2005), L'ombre de la liberté, I. comprendre qu'en présentant d'abord l'ensemble du contenu de ses cours. [...]
[...] ( ) Le temps n'est pas un cadre : cela n'est qu'artifice. Ne pas avoir le temps, mais se laisse prendre par lui, telle est l'historicité. La vie facticielle construit sa ruine sur l'annulation du temps propre. Le temps propre est mobile par lui-même, indépendamment de la manière dont nous prétendons en disposer. Une expression du genre ne pas avoir le temps exprime déjà la ruinance dont nous sommes la victime : Nous prétendons d'abord avoir un temps pour tout, puis ne pas avoir le temps pour des choses particulières ; Mais parler ainsi revient à inverser les choses, soutient Heidegger, car ce n'est pas moi, à l'origine, qui dispose du temps, mais bien le temps qui me prends, qui me possède. [...]
[...] Quoi, s'exclame Augustin, ai-je alors cessé d'être moi-même, Seigneur mon Dieu ? Il y a une si grande différence entre moi et moi-même ! Heidegger s'arrête sur ce passage et définit l'appropriation de soi-même comme un acte jamais achevé. Cette définition fondamentale fait de la transparence à soi une disposition jamais acquise, toujours à (re)conquérir : Je ne puis jamais trouver un moment qui soit pour ainsi dire arrêté, où je me suis apparemment pénétré moi-même. L'instant suivant peut déjà provoquer ma chute et me révéler comme quelqu'un de tout autre. [...]
[...] Merleau-Ponty, Maurice, Phénoménologie de la perception, Gallimard, p sv. La temporalité Jules Donzelot (2005), L'ombre de la liberté, I. Augustin prône un détachement de la conscience à l'égard des choses du monde. L'écoulement du temps est de telle nature que les choses glissent toujours nécessairement vers le néant, le non-être. S'attacher à des choses qui, selon une belle formule d'Augustin, crient leur non-être ne peut qu'engendrer déception. C'est par conséquent vers le Soi qu'il convient de se tourner, en opérant une profonde conversion. [...]
[...] Ernst Bloch, lui aussi, faisait appel à la philosophie afin d'éclairer l'obscurité de l'instant vécu mais il refusait la pensée froide et réclamait un lyrisme philosophique absolu Heidegger, de son côté, considérait que l'esprit de sérieux était indispensable pour lutter contre les méfaits de l'attitude théorique. II) LA LIBERATION DE LA VIE OU L'EREIGNIS DE LA TRANSPARENCE A SOI a. Du monde ambiant au monde du soi Id. Dans GA p.91, Safranski p.145-146. GA 61, p Jules Donzelot (2005), L'ombre de la liberté, I. Dans son cours de 1919, Heidegger a libéré le monde ambiant des griffes de l'attitude théorique. Ce monde, il l'a découvert comme un monder comme un processus incessant de signification par le tout. [...]
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