Épictète, destin, liberté politique, liberté psychologique, théorie psychologique, conciliation épictétéenne, servitude politique, liberté pratique, esclavage, proairesis
Liberté et destin, spontanément, semblent être au plus haut point inconciliables ; la réalité du second entraverait l'exercice de la première. Mais il faut d'ores et déjà les distinguer. Le destin recèle deux sens distincts, quoique complémentaires : il peut d'abord être conçu comme une certaine puissance, qui ferait que tout événement serait depuis toujours déjà fixé d'avance, et contre lequel nulle volonté humaine ne pourrait rien ; mais il peut aussi avoir un sens plus local, comme renvoyant par exemple à l'ensemble des événements d'une vie particulière et déterminée (ainsi lorsque l'on dit d'un tiers : « c'était son destin »). La liberté, elle, prend également plusieurs formes nettement distinctes.
[...] Or, qu'est-ce que vivre selon la nature ou la raison ? Les formules abondent, chez Epictète : cela est décrit comme un agir « en harmonie avec la nature » ; conformément à la volonté du dieu ou à la « loi divine » ; selon l'accord avec le daimon présent en soi ; et c'est encore agir vertueusement, c'est-à-dire dans l'eudaimonia qui consiste en l'apatheia et l'ataraxia ; ou encore librement. Tout cela ne fait qu'un, mais suppose différentes choses et qu'il faut exposer, sans quoi l'on aurait affaire à un cas typique d'incomplétude sémantique. [...]
[...] - Ainsi, nous avons souligné que la liberté psychologique (ainsi que l'esclavage psychologique qui en est l'envers), conçue comme liberté véritable selon Epictète, tirait non seulement ses images et son vocabulaire, mais plus profondément sa théorie elle-même, par contraste ou en s'opposant à l'esclavage politique, jusques et y compris dans les métaphores animales renvoyant à ce dernier esclavage. En ce sens, l'expérience de l'esclavage (et de la liberté) politique(s) conditionne la théorie de la liberté (et de l'esclavage) psychologique(s) ; et, partant, conditionne aussi et médiatement la conciliation-corrélation établie par Epictète entre liberté psychologique et coopération au destin. L'on a donc vu les sources politiques de la liberté psychologique ; encore faut-il exposer les conséquences politiques et sociales de la conciliation-corrélation du destin et de la liberté psychologique. [...]
[...] de l'esclavage politique. - Epictète file une métaphore très parlante à cet égard, dès lors que l'esclave « véritable » est comparé à un mulet ; mulet qui comme animal non-humain, selon Epictète, est d'ores et déjà voué à servir l'humanité, mais qui est encore l'un des animaux réduits par excellence à servir les humains dans les cités telles que les connaissait Epictète ; animal domestiqué, qui n'est pas en liberté, et est aux animaux non-humains ce que l'esclave est aux humains. [...]
[...] Müller par « faculté de choix » ou de choisir. Concrètement, cela signifie que la maladie, la richesse, la vie, la pauvreté, etc., en tant qu'elles ne dépendent pas absolument de nous - contrairement à ladite proairesis - , ne doivent être jugées ni bonnes ni mauvaises, et que le bien et le mal résident en la seule faculté de choix. Cette dernière s'exerce en trois lieux ou topoi - Epictète reprend ici un thème et un terme apollodoréen - , et le premier de ceux-ci (au moins chronologiquement ou du point de vue de la paideia ; Epictète suit ici Posidonius), le plus important et le plus urgent, a précisément trait aux pathè, c'est-à-dire est relatif au désir (orexis) et à l'aversion (enklisis) ; il s'agit dans un premier temps de ne plus rien désirer, afin de pouvoir, à terme, avoir des désirs et des aversions « à l'abri des événements », c'est-à-dire aussi à l'abri de la tyrannie des passions relatives à cela qui ne dépend pas de nous (c'est-à-dire relatives à tout, exception faite de la proairesis ou de l'usage de nos représentations ou phantasiai). [...]
[...] - Nous avons donc exposé le sens psychologique de la liberté chez Epictète, mais il reste encore à exposer la façon dont ce dernier la concilie avec le destin. Et la thèse s'énonce ainsi : être à l'abri des événements, c'est-à-dire être libre, revient à désirer l'événement même, c'est-à-dire le destin entendu comme l'ensemble des événements qui se produisent - et l'un et l'autre ne sont pas contradictoires. Ainsi, les choses qui ne dépendent pas de nous ou sont indifférentes, à l'inverse du logos dont la proairesis est l'une des facultés, ne sont pas un don sans retour sur lequel Zeus n'a pas prise, mais sont au contraire un prêt - sont à nous « comme le lit de l'hôtel est à moi », dit Epictète. [...]
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