La liberté est, si on la définit d'une manière générale, un pouvoir de faire ou de ne pas faire (on appelle ce pouvoir le " libre-arbitre "), capacité à être le propre principe de ses actions, sans être contraint par rien d'extérieur à nous. Or, on a coutume de parler de la liberté en plusieurs sens, i.e., d'attribuer la caractéristique d'être libre en fonction de considérations différentes. Par exemple, on dit d'un tel qu'il est libre parce qu'il n'est contraint par rien ni personne à agir de telle sorte, i.e., parce qu'il n'est pas esclave ; on dit d'un autre, par exemple, un prisonnier, qu'il est libre de penser malgré le fait qu'il soit enfermé dans une geôle contre sa volonté ; on dit encore qu'est libre à celui à qui, au sein d'une société, est laissée la possibilité, et qui a le pouvoir effectif, de faire certaines choses ; ou encore, à un autre niveau, qu'est libre le sage, qui, et parce qu'il, maîtrise ses passions, etc. La liberté comporte-t-elle, dès lors, des degrés ? Cela nous paraît être immédiatement évident, puisqu'on ne peut pas dire, en effet, que le non esclave, le prisonnier, le sujet d'une société, le sage, etc., sont libres à un même niveau : il semble donc bien y avoir plusieurs niveaux de liberté. Chacun de ces personnages serait dès lors " plus " ou " moins " libre, de telle sorte qu'on pourrait tracer une échelle de la liberté, qui irait du niveau le plus bas de la liberté, au niveau le plus haut. Mais peut-on vraiment être plus ou moins libre ? Ne faudrait-il pas plutôt dire que la liberté ne comporte pas de degrés, et réside seulement dans ce que nous caractérisons comme étant son plus haut degré ? Le problème qui se pose est donc celui de savoir si, hormis ce niveau extrême, on peut encore vraiment parler de liberté, i.e., si cela fait sens de parler de " liberté moindre " ou " seulement en puissance ". Si ces niveaux inférieurs de liberté sont moindres que le niveau supérieur de l'échelle, alors, ne sont-ils pas tout simplement faux, et ne convient-il pas alors de parler à leur propos de liberté illusoire ? Le discours sur la liberté en termes de degrés est-il donc sensé ? La liberté ne serait-elle pas par définition ce qui échappe à tout degré ? N'est-elle pas un absolu ?
[...] Aristote comme Leibniz fondent en quelque sorte leur théorie des degrés de la liberté sur une théorie des degrés d'être. Ainsi, selon la théorie leibnizienne des monades, telle qu'elle est bien résumée dans les Principes de la nature et de la grâce, il apparaît que tout, dans la nature, est libre, mais à des niveaux différents, parce que les êtres existants (les monades) ont différents modes d'être, qui s'échelonnent sur une échelle allant de la moins parfaite sorte de monade (il s'agit des monades en sommeil, qui sont les éléments, analogues à des âmes, de toutes choses) à la plus parfaite, qui est Dieu (entièrement spirituel). [...]
[...] Résumons rapidement comment la liberté s'objective, se réalise. D'abord, nous dit Hegel, il faut que deux volontés se reconnaissent. Pour cela, il faut entrer dans une relation de contrat ; c'est par l'échange des choses, qui sont l'expression extérieure de la liberté, que les deux volontés vont se reconnaître comme étant identiques l'une à l'autre. Ensuite, les volontés vont en arriver à prendre en compte l'universel, une " norme Puis, elles vont, non plus s'y opposer, mais s'y identifier, à travers l'Etat. [...]
[...] Etant donné que la liberté " absolue " kantienne n'est donc qu'une étape, un moment, sur le chemin que la liberté emprunte ou se donne pour se réaliser, nous pouvons, avec Hegel, dire que la liberté comporte des degrés. Plus on s'élève du particulier vers l'universel, plus, ou mieux, on est libre. La liberté kantienne n'est pas, on l'a vu, la liberté réalisée, car elle est " seule et ne s'inscrit pas dans des choses ou dans des œuvres. Conclusion Ainsi, la liberté comporte bien des degrés. Ce sont ceux par lesquels elle passe pour se réaliser progressivement. [...]
[...] Il va ainsi pouvoir dire que celui qui a cédé à la passion, celui qui, par ivrognerie, a commis un acte répréhensible, est responsable de ses actes, même si ces deux personnes ne sont pas " entièrement " libres. Il y a une différence, en effet, nous dit-il encore, entre agir par ignorance, et agir dans l'ignorance. Quand on agit par ignorance, c'est que l'ignorance est la cause principale, ou première, de nos actions : alors, l'agent n'agissant pas en (pleine) connaissance de cause, il agit involontairement, il n'est pas libre. [...]
[...] Affirmer que la liberté comporte des degrés, ne nous mène-t-il pas en effet à devoir dire que, en dernière analyse, la liberté s'identifie avec le niveau le plus parfait de notre échelle ? Hegel ne dit- il pas finalement, comme Kant, que la liberté se dit en fait d'une seule manière, puisque pour lui, le seul discours légitime que nous puissions tenir sur la liberté, se trouve au niveau de la morale objective, de la Sittlichkeit ? Nous en arrivons donc à une aporie . [...]
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