Comment redonner à la lenteur ses lettres de noblesse dans un monde où l'immédiateté prend de plus en plus de place?
[...] Dans ce cadre, le lent et le rapide sont deux qualités contraires. La lenteur est une qualité, un type de mouvement, qui est simplement le contraire de la rapidité. Ainsi, le lent n'est pas moins en mouvement que le rapide, il est autrement en mouvement. On voit donc, dans cette rapide herméneutique de la notion de vitesse, que le jugement commun défavorable qui nous semblait être spontanément à l'œuvre dans notre société à l'égard de la lenteur, a des racines culturelles. [...]
[...] Précisons. Si l'époque dans laquelle nous nous trouvons encore, et qui trouve aujourd'hui son achèvement, est bien l'époque dite « moderne » ; et si cette époque se caractérise, sur le plan culturel, par la naissance et le développement, à partir du XVIIe siècle, de la science moderne, alors nous devrions rechercher, dans les conceptions de celles-ci, la manière dont sont pensés et représentés le mouvement et le phénomène de la vitesse. Alors, un rapide retour historique sur cette manière avec laquelle les fondateurs de la science moderne ont tâché de saisir le concept de vitesse nous fera voir ceci : la vitesse est appréhendée, dans cette démarche de mathématisation du savoir qui est le propre de la méthode de la science moderne, comme une quantité. [...]
[...] Le problème nous semble être bien davantage métaphysique, ou ontologique, que seulement moral. Autrement dit, ce qu'aura permis nos rapides études préalables, c'est de mettre en lumière qu'il en va en cette question de notre rapport à l'Etre. Notre rapport à l'Etre d'abord dans notre rapport quotidiens aux autres étants, à ces étants qui sont également, tout comme nous, dans le monde, et avec lesquels nous interagissons : les plantes, les animaux, les enfants, nos semblables. Ces étants qui, si nous réapprenons à les considérer dans leur être, ont également leur temporalité propre, temps pour se produire, devenir et advenir à soi-même. [...]
[...] Mais adoptons une terminologie plus précise. Nous devons à Heidegger, dans son ouvrage maître, d'avoir sur redirigé notre attention sur le lien fondamental entre l'Etre et le Temps. Disons donc maintenant plus finement : l'étant est, dans son être, temporalité. L'étant à chaque fois, un temps propre, son temps à lui. Ne plus voir la présence et l'œuvre du temps en chaque étant, ne plus deviner, à travers chaque étant, la temporalité qui est à chaque fois la sienne, c'est le propre d'une civilisation qui, pour reprendre la formule d'Heidegger est tombée dans l'oubli de l'Etre. [...]
[...] Rapport à l'Etre également dans la pensée que nous avons du mouvement : il s'agit là de dépasser le cadre réducteur que nous impose la méthode mathématique de la science moderne, un cadre qui élude la saisie qualitative des choses, pour ne plus les appréhender que par la quantité et la mesure. C'est en s'affranchissant de ces ornières épistémologiques que nous pourrons peut-être nous ouvrir à nouveau à une perception plus juste de ce qu'est un mouvement lent : non pas un moindre mouvement, non pas un mouvement inférieur à un mouvement rapide, mais simplement un mouvement autre. Un mouvement qui, justement, sait prendre son temps. [...]
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