Le texte que nous avons à étudier est extrait de la préface des Nouveaux essais sur l'entendement humain de Leibniz. L'objet principal dont traite ce texte est les petites perceptions, c'est-à-dire ces perceptions que nous avons en nous en tout temps mais dont nous ne nous apercevons pas. L'intérêt pour Leibniz de parler de ces petites perceptions consiste dans le fait qu'elles lui serviront de paradigme afin de montrer qu'il y a une parfaite correspondance entre le corps et l'âme. Autrement dit, elles vérifient la thèse leibnizienne de l'harmonie préétablie. Mais plus exactement, ici le problème pour Leibniz est de défendre l'idée selon laquelle l'âme n'est jamais au repos. Ainsi, est-ce par l'étude des perceptions dont nous n'apercevons pas immédiatement qu'il entend montrer et vérifier cette idée. Le texte va donc chercher à étayer non seulement la thèse de l'existence de ces petites perceptions qui nous échappent la plupart du temps, mais va aussi chercher à comprendre ce phénomène et à l'expliquer. Il peut donc s'agir d'une vérification pour Leibniz de la validité et de la légitimité des principes de sa philosophie.
Mais si Leibniz entreprend de vérifier à nouveaux les fondements de sa philosophie, ici l'existence des petites perceptions, c'est notamment en réaction au texte de Locke de l'Essai sur l'entendement humain de 1690, puisque ce dernier défendait particulièrement que l'âme pourrait être au repos. Ainsi Locke soutient-il que l'esprit ne pense pas toujours et qu'il est sans perception notamment quand il dort sans avoir de songes : un corps et une âme pourraient être sans mouvement. Or pour Leibniz, naturellement une substance ne saurait être sans action et un corps sans mouvement. Il est en effet décisif pour Leibniz de montrer qu'il n'y a jamais de repos ni pour le corps ni pour l'âme car, schématiquement, cela permet d'envisager un monde dont tous les mouvements suivraient une loi systématique de continuité conduisant à la formulation d'une harmonie préétablie. Il est par ailleurs remarquable de considérer que Leibniz ne signe pas ce texte par son nom mais par « l'auteur du système de l'harmonie préétablie ». En effet, comme nous le verrons, ce texte de Leibniz est un écrit longuement travaillé, de maturité, qui reprend l'ensemble de sa philosophie en la vérifiant.
S'agissant justement de la préface d'un texte qui parcourt à nouveau sa philosophie, Leibniz n'entend pas non plus développer ou revenir, outre mesure, sur tous les points de sa doctrine philosophique. Il reprendra par ailleurs cette question au cours du livre II. Ainsi, bien que très illustré, cet extrait n'en fait-il pas moins appel conceptuellement à un certain nombre de points que Leibniz semble supposer acquis par son lecteur.
[...] Leibniz, Nouveaux essais sur l'entendement humain commentaire de la préface Le texte que nous avons à étudier est extrait de la préface des Nouveaux essais sur l'entendement humain de Leibniz. L'objet principal dont traite ce texte est les petites perceptions, c'est-à-dire ces perceptions que nous avons en nous en tout temps mais dont nous ne nous apercevons pas. L'intérêt pour Leibniz de parler de ces petites perceptions consiste dans le fait qu'elles lui serviront de paradigme afin de montrer qu'il y a une parfaite correspondance entre le corps et l'âme. [...]
[...] Autrement dit : l'âme n'est jamais dans le repos, tout comme le corps, comme en attestent justement toutes ces petites perceptions. Ce thème sera notamment repris au livre II et montrera le rôle et l'importance de ces perceptions insensibles dans toutes nos actions indélibérées, permettant par ailleurs de nier la possibilité d'une liberté d'indifférence. [...]
[...] Elles produisent leur effet dans cette totalité même si la sensation d'ensemble est confuse, notamment en raison de leur confusion initiale, c'est-à-dire relativement soit à leur nombre trop important soit à leur indistinction, caractère dû à leur trop grande proximité. Chacune d'elles n'est pas pour autant aperçue pour elle-même, mais ensemble, leur totalité est aperceptible même de manière confuse. Pour prendre un exemple pictural, on pourrait dire que dans un tableau pointilliste, chaque infime touche de peinture est pour elle-même unique et perceptible, et pourrait être une petite perception ; tandis que l'ensemble, c'est-à-dire l'assemblage que constituerait le tableau, serait aperceptible malgré un degré indubitable de confusion. [...]
[...] Néanmoins, la raison n'en n'est pas que ce mouvement ne frappe toujours nos organes, et qu'il ne se passe encore quelque chose dans l'âme qui y réponde, à cause de l'harmonie de l'âme et du corps En effet, ce manque d'aperception, qui cependant se faisait avant de devenir une coutume, n'est dû ni à une modification de la perception des sens par lesquels ce phénomène ce mouvement était préalablement perçus : autrement dit du corps ; ni en raison de l'âme. Le mouvement du moulin et de la chute d'eau sont toujours perçus mais non plus aperçus. Ils produisent leurs effets mais ne sont pas remarquables. Le point essentiel de la première partie de cette phrase est justement sur le rapport corps- âme. L'âme répond au mouvement qui frappe les organes. Une modification de nos organes, donc du corps, tel que cela se produit dans la perception, entraîne un changement dans l'âme. [...]
[...] Il y a donc toujours une exacte correspondance entre le corps et l'âme. Mais le lien qui les unit n'est pas causal. Néanmoins, tout effet sur les organes sensoriels dû aux petites perceptions inaperçues entraîne toujours un changement ou une modification dans l'âme. Plus simplement, on pourra dire que toutes les impressions ont leurs effets, mais tous les effets ne sont pas toujours notables. Ce n'est que dans la deuxième de partie de cette phrase que l'on trouve véritablement l'explication de ce manque d'aperception dû à l'accoutumance. [...]
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