La violence paraît toujours irrationnelle : même si l'on cerne ce qui détermine son déchaînement, qu'il s'agisse d'une colère individuelle ou d'un conflit armé, ses causes immédiates semblent incapables de la fonder rationnellement. Il est au contraire traditionnel de considérer que le langage donne à l'homme une chance majeure d'accéder à une conduite rationnelle, parce qu'il est synonyme de partage et d'échange d'arguments. On pourrait en conséquence admettre que l'usage du langage signale au moins une suspension de la violence (...)
[...] La violence ouverte collective ne s'achève-t-elle pas par du langage? Aucun conflit armé ne peut durer indéfiniment: vient toujours le moment de discuter des conditions de la paix. Même constat à propos de n'importe quelle émeute: même si l'on admet qu'elle éclate en raison d'une absence de communication, il est prévu qu'elle soit suivie d'un rétablissement de celle-ci. Si un tel rétablissement n'intervient pas, et s'il n'est pas efficace (suivi d'effets qui modifient la situation matérielle), la violence peut toujours resurgir. [...]
[...] L'usage du langage est le reflet de l'inégalité réelle des partis en présence. Bien qu'il y ait partage d'une volonté de rétablir la paix ou le calme, les deux discours ne sont pas équivalents. Le langage n'est-il pas lié à une violence au moins symbolique? En effet, le langage est proche du pouvoir. C'est un constat classique en anthropologie: le scribe est proche du pharaon, la colonisation s'accompagne d'un discours (administratif, écrit). Dans le quotidien, il y a usage dominateur du langage: différents niveaux de langue renvoyant aux origines sociales, formes diverses du commandement verbal, usage de références culturelles ou savantes . [...]
[...] Le langage peut aussi annoncer le déchaînement de la violence (on prévient celui que l'on veut torturer de ce qu'il va subir). Enfin, les relations sont donc plus subtiles qu'un simple renoncement. La violence peut apparaître comme une parenthèse dans le langage. C'est la cas lorsque le langage prépare la violence (pendant que le pouvoir, individuel ou d'État, se donne par ailleurs les moyens de l'exercer), et vient ultérieurement en sanctionner les résultats. Mais le langage peut aussi être une parenthèse dans la violence: c'est la situation des conflits longs, plus ou moins larvés, qui peuvent ne pas trouver de solution à moyen terme ( conflit entre l'Israël et la Palestine par exemple). [...]
[...] S'il n'y avait pas d'autre usage du langage que philosophique, on pourrit sans doute admettre que le langage signale un renoncement à la violence, pour ouvrir l'espace du dialogue pacifié. Mais le langage est en réalité lié aux diverses formes du pouvoir, tant celui que l'on possède que celui que l'on revendique. Aussi n'est-il pas surprenant qu'il apparaisse, au même titre que la politique selon Claudewitz, comme la "continuation de la guerre par d'autres moyens". Et "continuation" ne signifie pas ici hétérogénéité, tant le langage peut aussi bien préparer la violence qu'en proposer des substituts qui, pour être symboliques, n'en sont pas moins efficaces. [...]
[...] Le langage est un domaine culturel qui participe à cette ritualisation. C'est pourquoi il intervient dans l'organisation sociale (par la récitation des mythes fondateurs, les formules qui préparent les sacrifices, les salutations et les formes de politesse, etc.) Ensuite, l'homme violent ne parle pas. L'individu livré à la violence physique est en dehors du langage articulé: au mieux, il crie ou hurle pour accompagner ses gestes. Mais l'acte violent peut être redoublé par de la parole, pour le rappeler et confirmer sa signification. [...]
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