Le problème des relations entre la pensée et le langage est périodiquement reposé, parce que nous avons tendance à croire que nous pensons spontanément de manière complète, et parce que nous faisons périodiquement l'expérience d'un écart entre ce que nous croyons penser et ce que nous formulons par le langage.
S'il fallait admettre que le langage trahit la pensée, cela ferait de cette dernière un domaine peut-être d'une grande richesse, mais incommunicable: n'en circulerait par le langage qu'une version toujours superficielle. N'est-il pas plus raisonnable de penser que, sans le langage, la pensée n'est qu'une illusion, et que, si nous avons l'impression de la trahir, c'est d'abord en raison d'une déficience dans notre usage des mots ?
[...] Le pensé ne demande-t-il pas à être dit Une preuve simple en est fournie par les capacités que montre le langage pour s'adapter aux avancées de la pensée. Le vocabulaire ne cesse de s'enrichir de mots nouveaux, qui correspondent à de nouvelles situations vécues ou à de nouveaux sentiments, ou désignent ce que des disciplines particulières parviennent à cerner. Au lieu de bloquer la pensée par des possibilités de formulations antérieures, le langage permet, grâce à des mots nouveaux, que le pensable devienne clairement pensé et trouve une formulation adéquate. [...]
[...] D'une part, le langage est lié à l'intelligence: il partage donc ses défauts et nous éloigne du fond de la réalité, de l'élan vital. De l'autre, il ne transpose dans son vocabulaire que des expériences ou des faits généraux, et c'est à nouveau la singularité qui en fait les frais: comment un amoureux pourrait-il admettre qu'en disant comme tout le monde Je t'aime il exprime la subtilité et la richesse particulières, sans doute uniques, de son sentiment ? En ramenant les mots à un statut de simples étiquettes mises sur les choses, Bergson souligne qu'ils ne peuvent que nous les indiquer, mais non coïncider avec ce qu'elles sont. [...]
[...] Dans de tels cas, ce n'est donc pas le langage qui est déficient et entraîne une trahison» de ce qui était (ou se croyait) pensé, c'est au contraire celui qui y a mal recouru. [C. Mes paroles ne peuvent-elles dépasser ma pensée Troisième situation fréquente: il arrive encore que mes mots, l'expression linguistique, dépassent ma pensée. C'est l'excuse que l'on avance volontiers lorsqu'on constate que ce que l'on vient de dire est reçu comme une parole trop violente par l'interlocuteur. [...]
[...] Au contraire, elle s'accompagne de l'affirmation de son existence: il se trouve seulement que je ne suis pas en mesure, au moment où j'en aurais besoin, de le trouver. [B. Ma pensée, mise en mots, peut être mal comprise] Il arrive aussi fréquemment qu'un interlocuteur comprenne mal ce que j'ai dit: Je me suis mal fait comprendre. De qui ou de quoi est-ce la faute? On admet volontiers que de cette incompréhension, c'est le locuteur qui est le premier responsable: il a dit un mot pour un autre, a mal choisi son vocabulaire, a utilisé telle formule inadéquate. [...]
[...] Le langage est aliénation positive de la pensée] L'enfant (celui qui ne parle pas) est dénué de pensée authentique. Il perçoit ce qui l'entoure, mais, ne sachant en désigner les éléments, il ne peut les penser distinctement. Les premiers mots qu'il acquiert le font accéder à une pensée» syncrétique: lorsqu'il dit maman c'est pour évoquer des expériences et des situations différentes, mais confondues tant qu'il n'a pas les mots lui permettant de les décrire une à une. De ce point de vue, l'acquisition progressive du vocabulaire est l'accès à une pensée de mieux en mieux adaptée et riche. [...]
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