On dit bien souvent que le langage est un simple moyen de communiquer. Ce qui signifie qu'il permet de parler, mais en aucun cas de penser. Aussi, conçoit-on la pensée comme étant indépendante du langage. Pourtant, on remarque parfois, notamment lorsqu'on comme à maitriser une langue étrangère, qu'on pense dans cette langue. Ce qui suppose alors que le langage servirait à penser et pas seulement à parler.
Il apparaît donc nécessaire d'éclaircir la relation entre le langage et la pensée. Sont-ils identiques ou bien diffèrent-ils ? Le langage est-il identique à la langue ou bien en est-il indépendant ? Est-ce moi qui parle ou bien le langage qui me parle et me pense ?
Penser semble différent de parler, c'est-à-dire de l'usage d'un langage. En effet, on peut traduire un langage dans un autre, ce qui suppose de déceler ce qu'il y a de commun et de différent entre les deux. En outre, le langageque les hommes utilisent habituellement est fait de mots qui peuvent se substituer les uns aux autres.
[...] Ce que manifestent notamment les muets, c'est la capacité d'inventer des signes. Or, il arrive bien que les hommes inventent des mots. Tel Rousseau qui inventa le mot perfectibilité. Une telle invention ne provient pas du langage ou de la langue française qui n'est qu'une abstraction. En effet, qu'est-ce qu'une langue sinon la totalité des mots et des façons de les utiliser dont la grammaire étudie les formes normales, totalité qui n'est pas indépendante de ceux qui utilisent la langue? Sans sujets parlants, il n'y aurait aucune langue. [...]
[...] Ne pense-t-il pas ou bien n'est-ce qu'une tentative de persuasion ? Or, celle-ci est rendue possible par le fait de flatter les désirs comme Platon le montre dans le Gorgias. Sans cela, la parole ne persuaderait pas. En outre, elle ne peut persuader que l'ignorant. Celui qui s'y connait en un domaine ne risque pas de se laisser tromper. C'est pour cela que le rhéteur ou le sophiste doit finalement s'appuyer sur les opinions de ses interlocuteurs (cf. Platon, République, livre VI). [...]
[...] Or la perception en tant que telle n'exige nulle pensée, qu'elle soit extérieure ou intérieure. La vache qui voit passer le train ne pense pas le train. Et en un sens, si elle ne le perçoit pas, c'est faute d'être capable de le penser comme un train analogue aux autres. Dire que les objets ou les états d'âme sont singuliers, qu'est-ce sinon les désigner par une propriété universelle, dire que la pensée est ineffable, n'est-ce pas la dire d'une certaine façon ? [...]
[...] Toutefois, on ne voit pas très bien ce que peut être le langage pour qu'il se distingue de la pensée. Dire qu'il a pour seule fonction de parler, c'est-à-dire d'exprimer la pensée, est-ce à dire que sans les mots il serait possible de parler. C'est que sans Eux, la pensée est, sinon impossible, tout au moins difficile à discerner. Descartes peut écrire qu'il doute des sons, mais comment doute que le je pense, donc je suis soit aussi parole. Lorsque je rentre en moi-même et que je pense, j'utilise les mots de ma langue. [...]
[...] C'est pourquoi il n'est pas illégitime de soutenir que la pensée est indépendante du langage si on le confond avec la langue. Nous avons vu surtout que parler n'est pas simplement persuader l'autre ou communiquer comme l'on dit aujourd'hui, auquel cas, le langage ne servirait pas à penser mais seulement à parler parce qu'il n'y aurait aucune pensée. Mais, parce que la pensée n'est pas cette saisie intuitive qu'est la perception, mais une représentation universelle qui vise le vrai, la pensée a besoin du langage, c'est-à-dire de l'aptitude à signifier. Sans langage, aucune pensée ne serait possible. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture