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Le langage est un système de communication au moyen de signes et sa vocation première semble bien de permettre de créer le rapprochement en établissant la possibilité de la communication. C'est la langue maternelle qui nous confère notre appartenance à une communauté, c'est elle qui fait basculer le sujet dans le « nous » d'une langue qui lui préexiste et avec laquelle il se confond. Cela étant admis, il semble que le langage se distingue par la variété de ses usages - c'est-à-dire de ce qu'il permet de faire - qui alternativement rapprochent ou éloignent. Comme n'importe quel objet, on peut en user comme un outil ou comme une arme, il peut nous faire accéder à l'intériorité d'un autre ou rendre la nôtre accessible, tout comme constituer un instrument de mise à mort ou de tromperie.
[...] Le langage est-il ce qui nous rapproche ou ce qui nous sépare ? Le mythe biblique de la Tour de Babel fournit une explication à la profusion de langues diverses : il s'agit d'une punition divine ayant pour but de diviser les hommes et d'en limiter la puissance. Ainsi le mythe établit-il dès le commencement ce double aspect du langage, présenté comme un acquis aux fondements de l'organisation sociale mais aussi comme un facteur de division. Le langage est-il alors ce qui nous rapproche ou ce qui nous sépare ? [...]
[...] L'écrit incarne la mémoire qui est aux fondements du langage et constitue le dernier stade de la représentation : essentiellement liée aux mots, elle annonce la pensée car ce qui constitue le matériau de la pensée, ce n'est jamais l'intuition sensible, c'est son interprétation au moyen des mots. C'est ainsi que le langage crée, par l'intermédiaire de médiations, la possibilité de communiquer et qu'il nous arrache par la même occasion au monde sensible, où tout est placé sous le signe de l'immédiateté. [...]
[...] Dans 1984, Georges Orwell imagine une société dominée par une novlangue, où l'imposition d'une langue au vocabulaire appauvri, pleines d'euphémismes visant à gommer la violence de son appareil politique, aux termes interchangeables (« la guerre, c'est la paix »), qui permet de mieux contrôler les citoyens et de les priver de leur individualité. Ainsi, il n'est pas vrai que les divisions qui sont à l'œuvre dans le langage soient nécessairement vécues de manière négative. Chaque langue est une sorte d'univers clos mais nous ne s'en sommes pas prisonnier. A l'inverse la multitude des langues doit être une incitation à découvrir l'autre et à faire cette opération de traduction, qui nous délivre de nos limites culturelles tout en nous faisant prendre conscience de la profondeur insondable du langage. [...]
[...] Le langage humain implique donc la mémoire, une tradition orale avant d'être écrite, qui nous inscrit dans une culture dont nous sommes d'abord dépendants. À mesure que mon vocabulaire augmente, c'est la complexité de mes rapports au monde qui s'accroît, ainsi que la conscience des limites de mon intériorité. Dans le fait de s'exprimer, il y a la volonté de dépasser ces limites, d'abolir la distance qu'il y a entre les autres et moi, d'instituer un dialogue et de ne pas s'en tenir par exemple à la simple désignation des choses que je vois. [...]
[...] Le langage, en tant qu'il unit et qu'il sépare, se veut donc un moyen d'accéder à la connaissance. Il se conçoit comme un organisme vivant, impur, limité par l'horizon sans cesse mouvant d'un inexprimable. Il se définit par cette tendance dont parle Wittgenstein qui consiste à « donner ainsi du front contre les bornes de notre cage », c'est-à-dire à affronter ses propres bornes. Il trouve une expression ultime et mystérieuse dans l'art, où, par l'intermédiaire de l'universel, l'artiste cherche à unir l'essence singulière d'une intériorité, d'une vision particulière et un monde qu'on ne peut connaître que de manière imparfaite, subjective, où le je puisse être un autre, conformément au souhait de Rimbaud. [...]
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