Dans Oedipe-Roi, Oedipe déclare à Créon : « Tu me reproches mon parricide, mon mariage et mes malheurs ; mais tout cela, je ne l'ai subi, je ne l'ai pas voulu ». De fait, dans les tragédies comme dans la vie quotidienne, nombreux sont ceux qui disent n'avoir pas eu le choix, nombreux sont ceux qui se prétendent déterminés, comme prisonniers d'un destin qu'ils n'ont pas dessiné, pris dans les filets d'une nécessité qu'ils étaient bien incapables de combattre et à laquelle nul être humain n'aurait pu résister... En ce sens, leur action ne pouvait être, à leurs yeux, différente de ce qu'elle a effectivement été : elle était donc nécessaire, déterminée, à l'instar des séries d'actions mécaniques qui s'enchainent dans la nature, qui elle s'avère - a priori du moins - soumise à un déterminisme sans faille, dépendant des relations de cause à effet. Ainsi, la nécessité s'apparenterait à un certain nombre de déterminismes, plus ou moins conscients d'ailleurs. Dès lors, toute velléité de liberté semble impossible, condamnée à se heurter au mur de la nécessité, ce qui sous-entend que l'homme n'aurait aucun pouvoir sur celle-ci ; si tout est pour ainsi dire écrit, si tout s'avère nécessaire, si son action repose sur de simples liens de cause à effet et si donc le passé comme le monde extérieur pèsent d'un poids toujours plus grand sur le sujet, alors celui-ci n'aurait d'autre choix que de s'y plier, sous peine de se perdre dans de pures illusions. Reste à savoir toutefois si, d'une part, la nécessité s'impose, s'applique effectivement à la sphère des actions humaines et si, d'autre part, entendue en un certain sens, elle nie véritablement le concept de liberté. La nécessité exclut-elle l'idée de liberté ? (...)
[...] De fait, l'homme n'est pas un empire dans un empire écrit-il dans l'Ethique : s'inscrivant, comme toute chose, dans la nature, il ne peut se soustraire à la nécessité qui y règne. On le voit, la nécessité exclut donc l'idée d'une liberté conçue comme indépendance (qui est d'ailleurs un concept négatif de la liberté, alors que l'être, lui, est profondément affirmation) : la véritable liberté est ailleurs En effet, pour Spinoza, la liberté authentique ne réside pas dans le fantasme du libre arbitre, mais dans la libre nécessité, qui est une nécessité intériorisée, si l'on ose dire. [...]
[...] De fait, Spinoza va jusqu'à identitaire les deux concepts, en proposant une philosophie moniste de la Nature. Celle-ci, qui s'identifie d'ailleurs à Dieu Deus sine Natura s'avère soumise à un strict déterminisme : tout est nécessaire, rien n'est contingent ; Dieu, seul être parfaitement libre, a pour ainsi dire tout déterminé ; de lui découle tout ce qui existe Ainsi l'homme, qui n'est pas cause de cause, n'est pas cause libre (en effet, seul Dieu l'est) est un élément fini du tout infini qu'est la nature ; c'est un mode fini le plus puissant de tous, certes de la substance divine. [...]
[...] Kant résout cette délicate antinomie grâce à la théorie du double caractère de l'homme, correspondant à deux façons de percevoir le monde. Ainsi, prises différemment, les deux assertions peuvent s'avérer vraies en même temps, grâce à la mise en évidence de deux types de causalités, obéissant à deux législations différentes : Le concept de causalité, comme nécessité naturelle, à la différence de la causalité comme liberté, ne concerne l'existence des choses qu'en tant qu'elles sont déterminées dans le temps, partant comme phénomènes par opposition à leur causalité comme choses en soi (Critique de la raison pure). [...]
[...] CONCLUSION Ainsi, il semblerait que la nécessité externe, entendue comme la liaison inéluctable des causes et des effets qui prévaut, pour l'essentiel, dans la sphère humaine, n'exclut pas l'idée même de liberté dans la sphère humaine, à condition toutefois qu'elle soit bien comprise S'il nous a tout d'abord paru possible d'identifier nécessité et liberté, celle-là devenant alors en quelque sorte le levier de celle-ci, on peut se surcroit affirmer qu'effacer la possibilité d'une liberté humaine reviendrait à confondre le domaine des sciences et celui des actions humaines, lesquelles peuvent être libres, bien qu'elles s'inscrivent dans un certain donné. Bien plus, l'idée même de liberté ne saurait être exclue si l'on s'appuie sur une conception adéquate de la temporalité, temporalité justement inscrite au cœur de la nécessité. [...]
[...] Il convient, de fait, de ne surtout pas confondre la quantité et donc la nécessité et la qualité la liberté c'est-à-dire l'étendue, le temps scientifique, et la durée, ce flux de conscience. En effet, le temps n'est pas une ligne sur laquelle on repasse ; une mauvaise conception du temps, perçu comme un nombre, aboutit à faire du passé une fatalité à rebours. Aussi ne faut-il pas faire des moments de la vie de la conscience des choses bien définies, des instants substituables, équivalents : il n'y a pas d'atomes de conscience : à chaque seconde s'opère un changement qualitatif. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture