On le voit, le sujet nous interroge indirectement sur la conjonction entre le pouvoir politique, conçu ici comme un exercice, c'est-à-dire une fonction pragmatique (du grec pragmatikos, qui concerne l'action (pragma), les affaires, par opposition à des choses purement théoriques), celle de diriger un État (polis), et une moralité comprise comme l'effort de ne pas commettre d'activités déloyales et suspectes. Mais qu'est-ce qui justement rend si difficile une telle conciliation entre politique et morale ? Tel est bien le coeur du problème. Autrement dit encore, pourquoi est-il nécessaire de savoir si l'homme aux manettes de l'État peut être honnête, comme si cette honnêteté paraissait aussi incongrue que le dégoût des armes chez un maffioso ?
[...] Déjà à l'époque de la Grèce antique par exemple, Platon (République) et Aristote (La Politique) ont vivement souhaité moraliser l'exercice du pouvoir, conscients que trop de régimes (la tyrannie, l'oligarchie) et de politiciens) hypocrites, dans le sillage des Sophistes (Protagoras, Gorgias), avaient fait de la politique une affaire personnelle d'ambition, de course aux honneurs et aux richesses, quitte pour cela à utiliser tous les moyens les plus démagogues voire les plus violents pour conserver un titre générant une ivresse plus forte gue celle que procure l'alcool la mise à mort de Socrate en -399). Il en ira de même avec les Stoïciens face aux abus dévastateurs des empereurs romains, à la décadence d'un peuple épris de pouvoir au point de sacrifier honneur et droiture. L'idéal d'une Cité juste impliquait déjà la figure - elle-même idéale - d'un homme politique sage, modéré, prudent, et qui penserait avant tout à l'intérêt de la communauté avant de cultiver sa carrière personnelle dans la démesure et la cruauté. [...]
[...] Dissertation 2 : L'exercice du pouvoir politique peut-il être vertueux ? En lisant cet énoncé relatif à l'exercice du pouvoir politique, on ne peut s'empêcher (peut-être à tort) d'y percevoir un présupposé implicite, celui d'une difficulté à être vertueux lorsqu'on se fraye un chemin dans les arcanes des détenteurs de l'autorité politique voire politicienne. Se questionner pour savoir s'il est possible d'être vertueux marque d'emblée une sorte de position qui ne va pas nécessairement de soi, comme par tradition, nous savions déjà que l'accès au pouvoir politique devait contrarier voire dissoudre cette qualité morale qu'est la vertu. [...]
[...] On l'aura compris, toute la difficulté d'une vertu politique tient dans la morale qu'elle est censée servir. On peut par là même signaler qu'il existe (Cf. Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion) des morales ouvertes, qui s'adaptent au monde et évoluent avec lui, et des morales rigides voire sectaires, dogmatiques et idéalistes jusqu'à l'extrémisme qui, refusant d'envisager le moindre compromis, font de la vertu un carcan de fer qui brise les libertés au nom de Dieu ou du Parti. [...]
[...] En somme, le but de la politique n'est pas le Bien mais l'efficacité pragmatique en vue de la défense des intérêts qui prime sur toute considération vertueuse. Un prince efficace ne s'embarrasse pas de scrupules ni de principes, parce qu'il sait que la fin visée justifiant les méthodes employées, seul le résultat compte Hiroshima et Nagasaki). Le pouvoir est donc comparable à un théâtre et à une machine: il engendre à la fois une mise en scène dont les coulisses secrètes sont dérobées à l'œil du grand public, et il produit des résultats (des décisions et des actions) qui ne sont pas morales, puisque la manière est rapportée à un intérêt, alors que la morale fixe une double condition selon le schéma kantien (Fondements de la Métaphysique des mœurs) : d'un côté le désintéressement, de l'autre une nécessité de n'employer que des moyens irréprochables. [...]
[...] L'épicurien condamne ainsi une avidité sans but réel, puisque le pouvoir est l'objet d'un désir finalement vide et non naturel. D'ailleurs, nous savons à quel point les hommes intègres sont souvent brisés (tel Roger Salengro ou Pierre Bérégovoy) par des machinations calomnieuses, des luttes fratricides, des guerres partisanes. Difficile dans ces conditions de rester au-dessus de la mêlée qui oblige bien des candidats à des compromissions, des mensonges, des promesses non tenues et des retournements de veste. Opportuniste et sans état d'âme, le «requin» du pouvoir n'a que faire des bons sentiments que professent les naïfs qui lui servent souvent de repas. [...]
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