Mill aborde explicitement le problème de la justice dans le dernier chapitre de L'utilitarisme, en annonçant par le titre même du chapitre l'existence d'un lien entre la justice et le principe d'utilité.
Mill n'admet pas l'existence d'un principe premier de « justice » qui s'imposerait naturellement à nous pour guider notre conduite ; il se pose en cela contre de nombreux philosophes pour lesquels le principe de « justice », inhérent à tout être humain, permettrait de choisir ce qu'il est bon ou non de faire. La justice pour Mill n'est pas le critère permettant de définir la conduite morale à adopter, il donne au principe d'utilité ce rôle de critérium permettant de définir la moralité. Pour défendre sa doctrine utilitariste, Mill récuse d'emblée cette notion de justice, comme critère suprême concernant la conduite morale, en soulignant l'existence de l'injustice elle-même : en effet, si la justice était un principe naturel pour tout être humain, principe naturel qui obligerait immédiatement chacun d'entre nous, alors comment expliquer que des injustices soient commises ? Le caractère d'obligation de ce prétendu principe suprême de justice n'apparaît pas comme assez puissant pour dicter une conduite absolument morale. Mill affirme ainsi, dès les premières lignes du chapitre consacré à la justice, qu'« il n'y a pas de lien nécessaire entre la question de l'origine du sentiment et celle de sa force d'obligation. Le fait qu'un sentiment nous est donné par la nature ne légitime pas nécessairement tous les actes auxquels il pousse » Cette observation intervient dans l'ouvrage de Mill pour appuyer le fait que la justice ne prime pas devant le principe d'utilité dans la conduite humaine : il y a certes un sentiment naturel de « justice », mais il n'oblige pas l'homme à toujours agir moralement, c'est donc que la morale est guidée par un autre principe. Mill utilise évidemment son principe d'utilité pour répondre à cette difficulté, sans pour autant nier l'existence d'un sentiment naturel de la justice.
[...] Tout ce qui serait naturel pour l'homme correspondrait à un instinct, la justice serait comme un instinct dont la raison aurait conscience. De même que pour tous les autres instincts, l'homme utiliserait la raison pour prendre en compte ses instincts, le sentiment de justice serait ainsi interprété par la raison humaine, de même que l'instinct de survie qui commande à l'homme de manger chaque jour, par exemple, est aidé par la raison quand l'homme construit des armes pour augmenter sa force et ainsi mieux chasser. Le sentiment de justice serait de même épaulé par la raison humaine. [...]
[...] Mill peut ainsi rappeler le caractère faillible des instincts, des sentiments naturels mal interprétés par la raison humaine : Si nous avons des instincts intellectuels qui nous portent à juger dans un certain sens, aussi bien que des instincts animaux qui nous poussent à agir aussi dans un certain sens, ce n'est pas une nécessité que les premiers soient plus infaillibles dans leur sphère que les derniers dans la leur Le sentiment, l'instinct de justice, quasiment, est en chaque être humain ; par contre, la manière d'en prendre conscience, grâce à la raison, cette étape donc rendrait possible l'injustice. Il y a certes un sentiment naturel de justice, admet Mill, mais ce n'est pas un instinct immédiatement connaissable. C'est au cours de ce processus interprétatif que le principe d'utilité cher à Mill entrerait en jeu. Le sentiment naturel de justice semble nous obliger plus que le principe d'utilité. La raison utilitariste interprète ce sentiment pour nous faire agir moralement ; l'utilité demeurerait-elle seconde par rapport à la justice ? [...]
[...] Mill fait dire à Kant que la moralité intervient dans un questionnement par rapport au reste des individus, à savoir si la communauté accepterait une conduite parce qu'elle ne nuirait à personne. Mill peut ainsi réinterpréter la maxime kantienne en ces termes : nous devons diriger notre conduite d'après une règle que tous les êtres raisonnables puissent adopter avec avantage pour leur intérêt [collectif] En d'autres termes, on peut dire que la justice suppose deux points : une règle de conduite, c'est-à-dire l'ensemble de la législation qu'une société établit, et le sentiment qui nous pousse à respecter la loi ; ce sentiment c'est la peur de la sanction, qui découle du désir de vengeance devant le mal accompli. [...]
[...] L'utilitarisme, chapitre page 157. [...]
[...] Ainsi, la justice renforce sa théorie de l'utilité car elle permet justement de conserver l'état social. Mill poursuit en outre sa réflexion sur ce désir de punir le criminel en ramenant ce désir à deux sentiments liés à l'utilitarisme, à savoir le besoin de se défendre et la sympathie : Or, il me paraît évident que le désir de punir la personne qui a causé un préjudice à quelqu'un naît spontanément de deux sentiments ; tous deux naturels au plus haut degré et qui sont des instincts ou analogues à des instincts : le sentiment qui nous pousse à nous défendre, et le sentiment de la sympathie Envisager dans un premier temps seulement le besoin de défendre sa propre personne pourrait rendre la justice égoïste : réclamer vengeance parce que quelqu'un nous aurait fait du mal, ce serait un intérêt privé, non pas général. [...]
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