L'histoire des Troglodytes contée par Montesquieu , souligne le lien entre justice et échange. En effet, alors que ces créatures avaient décidé unanimement de vivre égoïstement, en recherchant chacune son propre intérêt, sans aucune solidarité, même en situation de famine, la question de la justice se pose lorsqu'ils sont obligés d'échanger entre eux. Le Troglodyte vendant du blé, par exemple, exige que l'échange qu'il réalise avec un marchant de vêtements soit équitable, faute de quoi, dit-il au marchant, aucune transaction n'aura lieu, « dussiez-vous crever de faim ». Si la justice consiste, effectivement, en une bonne répartition des biens, justice et échange semblent liés de manière inextricable. Pourtant, pour déterminer le caractère juste d'un échange, c'est-à-dire d'un comportement par lequel des personnes se livrent réciproquement des valeurs considérées comme équivalentes, il faut non seulement connaître la valeur des biens échangés, mais aussi et surtout leur nature : comment dire, en effet, qu'un échange d'esclave est juste ? Il convient aussi de prendre en compte ce qui a motivé l'échange : selon Marx, si les travailleurs sont obligés d'échanger, en l'occurrence leur force de travail, pour pouvoir vivre, alors l'échange ne peut être considéré comme juste . Il s'agira donc de se demander si l'on peut dûment associer justice et échange. Ne peut-on penser la justice qu'à travers l'idée d'échange ? Ou bien, au contraire, au-delà d'une vision de la justice qui la circonscrirait à ce domaine, n'est-il pas possible de la considérer en dehors de tout échange, son existence étant même garantie par l'absence d'échange ?
[...] Mais outre ce problème, il est possible de dissocier échange et justice pour d'autres raisons : en effet, comment dire d'un échange de sourire, par exemple, qu'il est juste ? Certains échanges entre les hommes ne peuvent pas se mesurer, et échappent à toute appréciation du point de vue de la justice, puisqu'ils appartiennent plus au domaine moral. Par exemple, l'amour, entre deux personnes, est bien un échange. Pourtant, il est impossible de le juger à l'aune de critères objectifs, même si Bentham, au contraire, envisageait une possibilité de tout quantifier[x]. [...]
[...] La justice peut donc ne rien avoir à voir avec l'idée d'échange, et même, il semble qu'elle puisse être pensée comme une rupture des échanges. En effet, la justice peut être considérée, non seulement comme une vertu, mais aussi comme un ordre ce qui lui donne une dimension politique plus que psychologique. Elle n'est alors qu'une structure qui n'a pas à entretenir de relations internes. Ainsi, selon Socrate[xi], la Cité juste se caractérise par l'absence de liberté, de mobilité sociale, et l'amour de l'ordre et de la sécurité. [...]
[...] Pour cela, on a inventé un moyen terme qui est la monnaie. Cette dernière devient le moyen privilégié de la justice, en tant qu'elle permet de tout mesurer, de tout ramener à un équivalent. En définitive, on aura obtenu la justice corrective parce qu'on sera parvenu à mesurer les biens, grâce à un étalon monétaire. Il est possible, par conséquent, d'échanger tout en respectant les principes de la justice, ce qui montre la compatibilité de ces deux notions de justice et d'échange. [...]
[...] Selon Aristote[v], On considère généralement comme injuste celui qui viole la loi, celui qui prend plus que son dû, et enfin celui qui manque à l'égalité. Un échange juste serait alors un échange équitable, où chacun des participants prend strictement la part qui lui revient. Il est même possible de réaliser des échanges justes malgré le problème que pose l'hétérogénéité des biens, notamment grâce à un instrument, la monnaie. En effet, concilier justice et échange peut a priori sembler difficile, dans la mesure où les biens échangés sont très divers. [...]
[...] En effet, l'échange est un comportement par lequel des personnes se livrent réciproquement des valeurs considérées comme équivalentes. Il est donc possible de se demander si les échanges injustes mentionnés précédemment sont vraiment des échanges, au sens strict du terme, puisqu'ils ne correspondent pas à un échange de produits de même valeur. Au contraire, le vrai échange, par définition, semble indissociable de la justice, d'autant plus que c'est, dans une certaine mesure, de l'échange que naît le désir de mettre en place la justice. [...]
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