Qu'est-ce qui nous amène à juger qu'un acteur, lorsqu'il interprète un rôle, est bon ou mauvais ? En écoutant l'enregistrement d'un acteur naguère célèbre, on constate parfois qu'il déclame trop, que sa prononciation est trop insistante, que ses effets sont inutilement appuyés, et l'on comprend mal pourquoi il fut admiré. Son interprétation paraissait juste, elle nous semble désormais grandiloquente : c'est que la "vraisemblance" elle-même a changé en quelques dizaines d'années. Mais cette évolution du jeu dramatique s'est accompagnée de libertés nouvelles pour les metteurs en scène : on admet volontiers que Racine ne soit plus déclamé comme en son temps, mais on n'est pas toujours prêt à accueillir favorablement une représentation de ses tragédies en costumes de ville, ou que certaines répliques disparaissent de son texte. Le metteur en scène ne demande pourtant rien d'autre qu'une liberté d'interprétation, mais il est clair que, même au théâtre, celle-ci doit respecter certaines règles (...)
[...] Qu'est-ce qu'une "mauvaise" interprétation? Tout d'abord, ce peut être celle qui méconnaît la nature des éléments à interpréter. Si je ne vois qu'une composition décorative, c'est parce que je fais erreur sur la nature des éléments rassemblés: là ou je ne perçois que des fleurs, j'aurais dû deviner des symboles. C'est en quelque sorte parce que je n'interprète pas que j'interprète mal. Lorsqu'il déplore que le rêve ait durablement été considéré comme absurde et sans valeur, Freud souligne que cette incompréhension provient de ce qu'on s'obstinait à l'interpréter "en tant que dessin", alors qu'il convient de l'interpréter à la manière d'un "rébus". [...]
[...] De ce point de vue, le texte à interpréter est considéré comme nécessairement ambigu, à la manière dont Hegel qualifiait le symbole. Rappelant que que lorsqu'il y a symbole, un objet (ou une image) est simultanément présent en lui-même et compris "en un sens plus large et universel", Hegel souligne que le symbole, à la différence du signe ordinaire (qui est arbitrairement relié à ce qu'il signifie), "comprend en lui-même le contenu de la représentation qu'il fait apparaître". Ainsi, le renard peut symboliser la ruse, parce qu'il possède déjà la qualité dont il 'exprime la signification". [...]
[...] Qu'est-ce qui rend une interprétation meilleure qu'une autre? Qu'est-ce qui nous amène à juger qu'un acteur, lorsqu'il interprète un rôle, est bon ou mauvais? En écoutant l'enregistrement d'un acteur naguère célèbre, on constate parfois qu'il déclame trop, que sa prononciation est trop insistante, que ses effets sont inutilement appuyés, et l'on comprend mal pourquoi il fut admiré. Son interprétation paraissait juste, elle nous semble désormais grandiloquente: c'est que la "vraisemblance" elle-même a changé en quelques dizaines d'années. Mais cette évolution du jeu dramatique s'est accompagnée de libertés nouvelles pour les metteurs en scène: on admet volontiers que Racine ne soit plus déclamé comme en son temps, mais on n'est pas toujours prêt à accueillir favorablement une représentation de ses tragédies en costumes de ville, ou que certaines répliques disparaissent de son texte. [...]
[...] Peut-on interpréter le présent? En effet, l'herméneutique ne concerne pas seulement textes et oeuvres du passé, elle peut aussi s'appliquer à du contemporain, on le sait au moins depuis Freud: pour être nécessaire, il suffit qu'un objet nous apparaisse comme "étranger". Gadamer affirme bien que toute tradition est devenue étrangère à son sens originel, et c'est ce qui justifie nos efforts d'interprétation, mais l'étrangeté n'est pas seulement due à l'histoire: elle peut également provenir d'une actualité qui ne propose pas d'elle-même les clés de sa compréhension, qu'il s'agisse d'un comportement différent (l'ethnologue ne peut comprendre directement la société qu'il observe, le psychiatre doit trouver un sens au délire de son malade), d'un texte trop vite qualifié d'"illisible" ou d'une peinture qui inaugure un style déroutant. [...]
[...] Il est incontestable qu'il existe des interprétations délirantes, et le délire d'interprétation est bien pathologique. Mais l'interprétation convenable, pour peu qu'elle soit profonde, est souvent surprenante: il est fréquent que le patient soit choqué par ce que l'analyse découvre, en fait de sens, dans ses rêves. On doit donc se méfier des interprétations s'annonçant prudentes ou mesurées: pour être efficace, l'herméneutique ne doit pas manquer d'audace, pourvu qu'elle respecte l'intégralité de son champ d'application, et qu'elle ne se trouve pas amenée à lui ajouter des éléments hétérogènes. [...]
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