Cette dissertation commente l'expression épistémologique de Pierre Bourdieu : 'l'instrument est une théorie en actes'. Autrement dit, tout outil de recherche ou d'évaluation expérimentale, au delà de la théorie, de la simple spéculation cognitive qu'il doit vérifier, engage lui-même une théorie dans son action et son utilisation. Cette observation, et les interrogations qui en découlent, qui pourraient naïvement être considérées comme allant de soi, ne sont pourtant que peu fréquemment posée par les utilisateurs des outils d'analyses des sciences sociales, en particulier par la méthode aujourd'hui parfaitement intégrée socialement des sondages d'opinion
[...] Mais que se passe t-il lorsqu'elle n'intervient pas ? Le danger existe alors non seulement lorsque l'on se trouve en présence d'une théorie implicitement contenue dans une technique et dont on n'a pas conscience mais surtout lorsque l'utilisateur de la technique refuse délibérément de se livrer à l'interrogation épistémologique pour envisager le débat autour de l'enjeu de la neutralité axiologique de son raisonnement Les limites d'une méthode et les erreurs qu'elle engendre : l'ignorance préjudiciable C'est parce qu'elle s'appuie sur un corps d'hypothèses théoriques qu'une technique n'est pas neutre. [...]
[...] Les sciences sociales connaissent-elles aussi ces interrogations méthodologiques, comme l'explique Pierre Bourdieu lorsqu'il affirme que «tout instrument est une théorie en acte Autrement dit, tout outil de recherche ou d'évaluation expérimentale, au delà de la théorie, de la simple spéculation cognitive qu'il doit vérifier, engage lui-même une théorie dans son action et son utilisation. Cette observation, et les interrogations qui en découlent, qui pourraient naïvement être considérées comme allant de soi, ne sont pourtant que peu fréquemment posée par les utilisateurs des outils d'analyses des sciences sociales, en particulier par la méthode aujourd'hui parfaitement intégrée socialement des sondages d'opinion. Partant de ce constat, on s'interrogera ici sur les causes de cette ignorance volontaire des présupposés induits par une technique et sur les conséquences qu'elle peut entraîner. [...]
[...] En clair, «rien n'empêche d'affirmer que la terre est plate, du moment qu'on peut aller où l'on veut à vélo De la même manière, l'usage de mathématiques en économie (principal support des théories classiques et néoclassiques) a notamment pour hypothèse (d'ailleurs posé par les chercheurs) la rationalité des acteurs intervenant dans les relations commerciales, hypothèse d'ailleurs absolument fausse dans la réalité du fait de l'existence de l'incertitude et reconnue comme telle même pas les théoriciens les plus orthodoxes de la loi de l'offre et de la demande. Pourtant, les mathématiques continuent de servir de refuge (tout en n'étant qu'un instrument rassurant à une partie des économistes libéraux «médiatisés 5. [...]
[...] Certes, cette nécessité peut décevoir par rapport à l'idéal de neutralité des instruments qui voudrait que le résultat recueillit par ceux ci soit un enregistrement empiriquement parfait et dénué de présupposé de la réalité, et c'est d'ailleurs peut être en partie pour cela que l'interrogation épistémologique est souvent écartée par les utilisateurs de ces méthodes (voir II). Pourtant, elle apparaît indispensable, cette opération d'explicitation de la théorie que contient l'instrument permettant d'accroître considérablement son ajustement avec l'objet étudié, d'éviter de demander à la technique plus qu'elle dit, plus qu'elle ne peut dire, de cerner ses limites et les conditions de son utilisation (F. Simiand). On trouve une illustration de ce phénomène de d'inclusion théorique dans l'opération, pourtant considérée comme basique, du codage des indicateurs de la position sociale et dans le découpage des catégories sociales existantes. [...]
[...] On peut citer quelques exemples des limites d'un instrument induites par la théorie qu'il contient. Ainsi, Katz nous rapporte l'incapacité d'une méthode de pioche aléatoire dans une population, fondée sur la prénotion (en cela qu'elle n'était pas originellement considérée comme une hypothèse) que le public était une masse atomisée, de saisir des liens structurels entre individus concernant la diffusion de l'information : il fallut aux auteurs de cette enquête une rupture méthodologique (en suivant l'information elle-même et sa diffusion à travers la structure sociale comme un trait) par rapport à la technique de l'échantillon aléatoire pour obtenir des résultats validant empiriquement la théorie du two-step flow, ceux ci étant obtenus parce que l'instrument employé ne s'appuyait pas sur des hypothèses incompatibles avec la théorie de l'objet qu'il prétendait examiner. [...]
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