Cette diversion de l'imagination, que Spinoza nommerait « idée inadéquate », est au coeur de la problématique sur laquelle est bâti le lien entre l'imagination et la réalité : c'est parce que les images sont comparables à la réalité qu'elles peuvent être ou non la négation de la réalité (...)
[...] En effet, le terme de négation suppose davantage qu'un simple oubli ou qu'une seule négligence : dans le fait de nier la réalité, il y a une volonté marquée (et plutôt consciente d'elle-même) d'y échapper. L'imagination est alors un refuge qui permet une alternative fictive à la réalité, devant le tragique que constitue précisément l'impossibilité d'alternatives réelles. Les urgences de la réalité me dépassent et m'effraient tandis que les productions de mon imagination m'appartiennent et me rassurent : il me semble que je les possède absolument, que j'en suis maître. [...]
[...] Évoqué précédemment, la dimension positive première de l'idée inadéquate est sa qualité heuristique que Gilles Deleuze, en commentant Spinoza, définira ainsi : ce qu'il y a de positif dans l'idée inadéquate doit se définir ainsi : c'est qu'elle enveloppe le plus bas degré de notre puissance de comprendre sans s'expliquer par elle, et indique sa propre cause sans l'exprimer. Finalement, pour Spinoza, le problème est de passer de l'idée inadéquate à l'idée adéquate : si l'imagination est pour lui source d'erreur, l'issue de l'impasse se trouve dans sa conception de l'affection. La proposition III du livre III énonce que les actions de l'Ame naissent des seules idées adéquates ; les passions dépendent des seules idées inadéquates ; l'affection accompagne donc toujours la formation d'une image comme elle accompagne toujours la formation de l'idée, y compris de l'idée adéquate. [...]
[...] J'avais donc perdu la tête les jours derniers ! J'ai dû être le jouet de mon imagination énervée, à moins que je ne sois vraiment somnambule, ou que j'aie subi une de ces influences constatées, mais inexplicables jusqu'ici, qu'on appelle suggestions. Ce en quoi il avait profondément cru alors qu'il devenait fou sa démence précisément s'efface dans un état lucide : la puissance suggestive de l'imagination est toute-puissance lorsque l'on reste enfermé dans son cadre, la prenant pour la réalité. [...]
[...] Pour cette raison, l'imagination n'est pas erreur en elle-même, ce n'est pas parce que j'imagine que je suis dans le faux et que je nie la réalité. Ainsi, et c'est ce qu'exprime Spinoza dans L'Ethique (II sc.), L'esprit n'est pas dans l'erreur parce qu'il imagine, mais en tant seulement qu'il est considéré comme privé de l'idée qui exclut l'existence des choses qu'il imagine présentes. Car si l'esprit, en imaginant présentes les choses qui n'existent pas, savait en même temps qu'elles n'existent pas réellement, il regarderait cette puissance d'imaginer comme une vertu de sa nature, et non comme un vice. [...]
[...] Il suffit qu'une chose soit bien vivante en nous et elle se représente d'elle-même par la force spontanée de sa propre vie. A celui qui désire ardemment l'impossible, l'imagination offre la meilleure des solutions : l'instant fugace où je m'imagine précisément profitant de ce à quoi j'aspire me procure un plaisir certes relatif mais loin d'être négligeable, d'autant plus qu'il est le plus haut degré de satisfaction que je puis atteindre puisque l'impossible est et demeurera. Cette dimension de l'imagination vient en quelque sorte doubler la réalité, elle lui donne une profondeur rassurante, apaisante. [...]
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