Apparemment, l'image se donne à voir dans l'immédiateté. Mon regard fusionne immédiatement, spontanément avec l'image (télévision, tableau, photographie), ce qui n'est pas le cas avec le livre (succession d'efforts). L'image s'offre dans l'évidence (étymologiquement, ce qui saute aux yeux). Et cependant, rien n'est plus incertain que son statut, que la loi de son fonctionnement. "Il est sage comme une image", dit l'adage. Au contraire, il n' y a rien de moins sage qu'une image. Si nous établissons avec elle une proximité sensorielle et une relation affective, ce bonheur de voir une image est en réalité voué à une sorte de déception, à une sorte de frustration. Précisément parce que ce qui m'est offert par l'image n'est qu'une image. Prenons l'exemple trivial de la télévision allumée dans un salon. Si on voit apparaître la plus belle des actrices, c'est un bonheur, mais aussi une frustration (elle est là, mais elle n'est pas là). C'est là qu'on s'aperçoit du venin de l'image, de sa duplicité diabolique. Rappelons aussi la mobilité sémantique du mot "image". Nous disposons de 3 mots pour désigner l'image: image (du latin imago, qui veut dire portrait, représentation), mais aussi icône (du grec eikon, c.-à-d. image sacrée), et idole (du grec eidolon, c.-à-d. image qu'on sacralise). Ces 3 mots existent avec une floraison de sous-entendus. Rappelons aussi que le mot "image" renvoie à plusieurs choses: d'abord à l'image visuelle (tableau, dessin, photographie, télévision, cinéma), ensuite à l'image mentale (de mes rêves ou de mes rêveries), enfin à l'image verbale (mythe, allégorie, métaphore, comparaison). Or, ces 3 usages du mot "image" ont à peu près le même fonctionnement. Autre remarque qui rend l'approche délicate : une étude approfondie de l'image exigerait le croisement de plusieurs disciplines. D'abord, les histoires de l'Art (peinture, cinéma, photographie, poésie), mais aussi l'histoire des techniques (de la production d'images), et l'histoire des religions (qui entretiennent des rapports compliqués avec l'image). Le visible se donne à nous, et en même temps on a des difficultés à dire et à expliquer le visible (analyse de la peinture, de la métaphore poétique). Nous avons du mal à voir le voir. Nous ne regardons pas les choses passivement. Notre oeil est tout sauf une caméra placide, car nous recréons tout ce que nous voyons.
[...] Soit, mais nous pourrions dire aussi des choses bien différentes sur l'image. L'image m'apporte ce que la parole ne peut pas m'apporter. Il arrive que l'image dise dans certains cas ce que le langage n'arrive pas à exprimer. "Rembrandt peint les gens qu'on suivrait dans la rue, si on les rencontrait", disait Diderot. La preuve en est que le cinéma dit des choses que le roman ne dit pas, de même que l'image ne pourra pas dire la phrase de Flaubert ou de Céline. [...]
[...] Prenons l'exemple trivial de la télévision allumée dans un salon. Si on voit apparaître la plus belle des actrices, c'est un bonheur, mais aussi une frustration (elle est là, mais elle n'est pas là). C'est là qu'on s'aperçoit du venin de l'image, de sa duplicité diabolique. Rappelons aussi la mobilité sémantique du mot "image". Nous disposons de 3 mots pour désigner l'image: image (du latin imago, qui veut dire portrait, représentation), mais aussi icône (du grec eikon, c.-à-d. image sacrée), et idole (du grec eidolon, c.-à-d. image qu'on sacralise). [...]
[...] C'est la transformation de moi-même en un autre. C'est moi en mieux, ou en moins beau. Devant mon image, j'éprouve le trouble de mon identité, comme si c'était une petite expérience de l'imposture. "Je est un autre", disait Rimbaud. Toute expérience de moi me fait vivre une expérience de l'inauthenticité. D'une certaine façon, sur une photo, je me ressemble, mais je ne me reconnais pas. cf. tableau "Ceci n'est pas une pipe" (le titre de l'oeuvre indique que ce qui est devant nos yeux est un tableau, non une pipe). [...]
[...] La peinture sacrée dit le mystère de la grâce, de la foi. Elle poursuit par d'autres moyens les méditations métaphysiques et théologiques. Conclusion La question de l'image ne peut être saisie qu'à travers une série de paradoxes. Reconstituons les paradoxes principaux: elle a été soumise à une condamnation religieuse, ontologique. Elle a été toujours suspectée par toutes les formes de puritanisme. Elle a toujours été diabolisée. On a toujours dénoncé ses pouvoirs corrupteurs. On craint l'image parce qu'on connaît sa force. Pourtant, nous vivons entourés d'images. [...]
[...] L'image est tour à tour adorée et abhorrée (détestée). L'image est dans le fond le bonheur de notre regard, mais elle éveille aussi une interrogation sur le mystère de son fonctionnement, et l'ambivalence de son être. II - Ambiguïté de l'image semblable, dissemblable "Image" est l'anagramme de "magie". C'est un joli hasard, parce qu'effectivement, le statut de l'image a quelque chose d'équivoque. Dans le fond, on a du mal à décrypter la loi de ce mystère. C'est moi qui rends l'image magique (on n'est pas tous émus par une image). [...]
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