Après les atrocités des deux guerres mondiales, il est devenu quasi naturel de critiquer l'idée de progrès, à tel point que celui-ci est à présent plus un idéal d'adolescent qu'une véritable réalité de fait. Si l'on parle encore de progrès social, c'est pour regretter son inexistence, pour le reste tout le monde s'accorde à dire que l'on est en pleine phase de régression : défaite de la culture, baisse de la natalité, programmes télévisés de plus en plus abêtissants. Du reste même en politique on préfère le mot réforme au mot progrès plus vraiment d'actualité. Quant à l'idée de progrès en art, c'est peut-être le domaine où elle provoque le plus l'hilarité. Effectivement sur les trente dernières années, entre la Merda d'artista de Manzoni ou Cloaca de Wim Delvoye, en passant par Christo emballant les monuments ou le body art d'Orlan, le niveau plus ou moins douteux de l'extravagance créative n'a eu d'égal que le dégoût du grand public pour la chose artistique. Cependant s'arrêter là, ce serait faire un peu vite le procès de l'art contemporain, tout en évitant de poser la question de sa capacité à stimuler notre réflexivité.
L'idée de progrès peut renvoyer à deux idées très différentes : à une idée d'accumulation ou bien à une idée de progression, sous entendu vers un bien. Mais qu'en est-il lorsque le progrès engendre pollution, bombes et accroissement des inégalités ? Il existe corrélativement à l'idée de progrès un sens éthique et un sens économique, celui de surenchère. Est-ce à dire que l'art aurait à juger moralement du social ? Ne bénéficie-t-il pas d'ailleurs lui-même des progrès qu'ils soient sociaux, économiques ou culturels ? Comment pourrait-il critiquer ce à quoi il prend part ?
D'un coté l'art est dépendant d'un certain progrès technique (par exemple le cinéma), l'art vient d'ailleurs du latin ars traduisant le mot grec téchnê ; de l'autre, dire que l'art doit retranscrire une idée, l'obliger à choisir, c'est l'asservir et aller contre sa revendication de liberté. Comme le dit Proust « une œuvre où il y a des théories est comme un objet sur lequel on laisse la marque du prix ». Comment l'art va-t-il se positionner face à l'idée de progrès ?
A travers cette réflexion, nous tenterons de saisir ce qui touche à la justification de l'art : dans quel but existe-il ? A-t-il à jouer un rôle critique ou doit-il aspirer à la neutralité ? Doit-il s'engager dans la surenchère ou montrer son absurdité ? Pour tenter de répondre nous étudierons d'abord la période où l'idée de progrès est la plus étendue : la modernité, ensuite nous nous demanderons si partant de la notion de progrès, il est possible de réaliser une histoire de l'art, enfin nous interrogerons la validité de cette histoire en envisageant la perte de l'aura corrélative à l'idée de progrès.
[...] L'idéal de l'art est l'expression d'une force libre, qui a en elle-même sa propre autonomie. Le problème surgit cependant lorsque l'on fait du progrès un concept sur lequel on peut faire une histoire de l'art et hiérarchiser les arts entre eux ; on perd alors inévitablement une partie de leur substance. Ne faudrait-il pas alors conserver au progrès sa valeur d'idéal pour continuer à analyser les changements artistiques et pouvoir les intégrer dans une histoire ? A. Relativisation de la notion de progrès On a définit le progrès comme la rationalisation croissante des activités humaines, mais on peut très bien montrer l'autre face de la modernité, celle éminemment négative qui traduit une rationalisation à outrance, une réduction économique des liens entre les hommes. [...]
[...] Il n'y a pas encore de la part de l'artiste un jeu sur les significations par le biais d'une nouvelle dénomination (comme plus tard, en 1917, dans le cas de l'urinoir rebaptisé "Fontaine") mais déjà l'oeuvre est signalée et finalement constituée par sa seule présentation. Marcel Duchamp a arraché un produit industriel à sa fonction utilitaire classique pour l'exhiber en tant que pure forme ce qui conduit justement le regard du spectateur à s'intéresser à cet objet pour lui-même. En ce sens le ready made peut être compris comme les débuts du design. Quant au mot même de ready made, on peut y voir l'annonce de l'esprit d'une époque caractérisée par l'industriel et le déjà-fait : prêt-à-porter, préfabriqué, fast-food, etc. [...]
[...] Bernard p.159). L'homme en faisant l'expérience de sa finitude, s'aperçoit du même coup de son imperfection et aspire à dépasser la réalité qui lui assigne des bornes et l'empêche de jouir de sa liberté. En conséquence, il est forcé de se satisfaire dans une région plus élevée, celle de l'art, et sa réalité, l'idéal. Comme toutes les productions humaines, l'œuvre d'art est la traduction d'une idée dans la matière. Mais ce qui différencie spécifiquement l'art, c'est que l'idée exprimée y est plus générale que dans toutes les autres productions techniques : l'esprit humain s'y exprime plus librement. [...]
[...] Il faudrait donc en rester à l'idée de progrès et se retenir d'en faire un concept déterminé. L'idée ne peut pas être un concept figé, mais seulement un projet pour l'avenir, une critique, un miroir. Ainsi L'Utopie de Thomas Moore n'est qu'une idée, et jamais quelque chose qu'il faut à tout prix réaliser, car par définition, la cité parfaite n'a pas de lieu (topos). Elle reste néanmoins une source d'inspiration, d'idées, qui suggèrent l'intérêt d'une société cultivée, où les antagonismes sociaux, les différences entre hommes et femmes sont réduites en vue de la paix, du progrès technique et de son bon usage. [...]
[...] Quant à l'idée de progrès en art, c'est peut-être le domaine où elle provoque le plus l'hilarité. Effectivement sur les trente dernières années, entre la Merda d'artista de Manzoni ou Cloaca de Wim Delvoye, en passant par Christo emballant les monuments ou le body art d'Orlan, le niveau plus ou moins douteux de l'extravagance créative n'a eu d'égal que le dégoût du grand public pour la chose artistique. Cependant s'arrêter là, ce serait faire un peu vite le procès de l'art contemporain, tout en évitant de poser la question de sa capacité à stimuler notre réflexivité. [...]
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