Les humains sont-ils fondamentalement différents des animaux ?

Thèmes abordés

humanité, animaux, Descartes, Darwin, behaviorisme, Skinner, Rousseau, lumières, Aristote, réflexe de Pavlov, théorie de l'animal-machine, langage, raison, comportement

Résumé du document

« Je me sers d'animaux pour instruire les hommes », peut-on lire dans l'épître à Monseigneur le Dauphin, qui ouvre les Fables de Jean de Lafontaine [...] Si le poète peut « se servir d'animaux pour instruire les hommes », c'est donc grâce à une ambiguïté fondamentale : d'un côté, une proximité qui permet aux hommes de s'identifier aux animaux qui leur sont présentés ; de l'autre, une distance qui rend la critique plus supportable. Entre capacité d'identification et possibilité de rassurante mise à distance, le rapport entre les humains et les animaux est ainsi paradoxal.

Extraits

[...] Les humains sont-ils fondamentalement différents des animaux ? « Je me sers d'animaux pour instruire les hommes » peut-on lire dans l'épître à Monseigneur le Dauphin, qui ouvre les Fables de Jean de Lafontaine. C'est donc que les hommes peuvent s'identifier à des animaux et en retirer une instruction, en l'occurrence, un enseignement moral. Mais d'autre part, si Lafontaine utilise des animaux, n'est-ce pas aussi pour créer une distance par rapport aux hommes auxquels il s'adresse, et rendre ainsi plus supportables les critiques qu'il a à leur faire ? [...]

[...] A priori, on pourrait, en suivant Descartes, considérer que les humains, en tant qu'ils sont « maîtres et possesseurs de la nature », sont fondamentalement différents des animaux qui appartiennent à cette nature. Cependant, il convient de questionner cette distinction qui exclut les hommes de la nature. Finalement, si l'homme se distingue de l'animal, c'est peut-être moins par un rapport de domination que par sa capacité de déchiffrer et d'élucider le monde. La prétendue supériorité de l'Homme sur l'animal - La théorie de René Descartes En premier lieu, il est tentant d'opposer les hommes, « maîtres et possesseurs de la nature » d'après la formule de René Descartes, aux animaux. [...]

[...] En définitive, si le rapport de domination de l'humain sur la nature le distingue a priori des autres animaux, les avancées scientifiques et comportementalistes récentes poussent à remettre en cause cette distinction, peut-être artificielle, entre nature et culture. Finalement, la spécificité humaine par rapport aux autres animaux ne réside-t-elle pas plutôt dans sa capacité à interroger le monde et à poser sur lui un regard analytique propre ? Dans Les animaux dénaturés, Vercors met en scène un héros aux prises avec cette interrogation fondamentale. Finalement, conclut le roman, c'est par sa capacité à poser sur la nature un regard investigateur, que se distingue véritablement l'humain. [...]

[...] Le linguiste Noam Chomsky montre par exemple que Skinner néglige certains énoncés, notamment poétiques et littéraires, qui ne visent pas d'effet direct sur leur interlocuteur. La capacité du langage humain à s'émanciper de toute fonction performative distingue en effet les hommes des autres animaux. Les fonctions du langage identifiées par Saussure révèlent la complexité de ce système de signes, spécifique à la communication humaine. Ainsi, la fonction phatique du langage, c'est-à-dire, celle d'établir un contact verbal indépendamment de tout but extérieur au langage lui-même, est bien propre aux humains. [...]

[...] Il convient dès lors de réinterroger la distinction fondamentale entre humain et animal. L'homme, en définitive, n'est-il pas seulement une catégorie particulière d'animal, disposant du langage articulé comme les abeilles disposent d'un langage chorégraphique complexe ? Au XVIIIe siècle, les théories darwiniennes ont contribué à déchoir l'humain de son piédestal, en révélant non seulement sa parenté phylogénétique avec les singes, mais en plus en le replaçant au milieu - et non au sommet - de l'évolution. Les humains se trouvent, d'une certaine manière, déchus par ces découvertes de la position dominante que lui prêtait l'humanisme. [...]