L'Histoire fait un plus grand sort à Caïn qu'à Abel ; dès l'Antiquité romaine, Plaute grave dans les esprits cette formule qui a fait date : homo homini lupus est — l'homme est un loup pour l'homme.
Dans notre bestiaire, le loup n'a pas bonne presse : paré de tous les vices, hypocrite et fourbe, injuste et dominateur, solitaire et indomptable.
La formule a été employée de façon assez célèbre par Hobbes, dans De cive (1641), pour caractériser ce qui constitue à son sens la nature de l'homme. Un tel jugement sur l'homme est d'une nature proprement éthique : elle interroge l'èthos de l'être humain — c'est-à-dire sa disposition d'âme — ce qui permet d'en inférer une authentique anthropologie politique. Cette anthropologie peut être qualifiée de deux manières : d'abord, elle est pessimiste, car elle ne veut voir dans l'homme que sa violence, sa vilenie voire sa malignité ; ensuite, elle est cynique, car elle
implique de formuler un jugement désabusé que l'on veut sage tout en se posant comme indifférent à la morale dans sa recherche de l'éthique naturelle.
[...] La critique historique ouvre la voie à d'autres critiques très profondes des anthropologies qui affirment que l'homme est un loup pour l'homme. Fonder une ontologie sur la dangerosité de l'homme équivaut en grande partie à la fonder sur des représentations acquises par l'expérience. Rien n'indique que toute représentation soit incontestable : celle de Rousseau comme celle de Spinoza, par exemple, s'inscrit en faux contre celle de Hobbes. II. Il importe d'en appeler à la raison présente en chaque homme pour repousser la vision hobbésienne de l'homme, et de réconcilier la violence et la réflexion au sein de la nature humaine Les préceptes politiques tirés de ces représentations anthropologiques dépendent fortement du degré de raison c'est-à-dire de capacité à contraindre ses pulsions qu'on postule chez l'homme. [...]
[...] Contester que l'homme est un loup pour l'homme implique un retournement de paradigme. Selon Rousseau, Hobbes établirait son ontologie c'est à dire l'essentiel sur une représentation morale c'est à dire sur du fugitif, presque du faux : du contingent il inférerait du nécessaire. Rien n'indique que toute représentation cognitive soit vraie et celle de l'homme de Rousseau s'inscrit en faux contre l'ontologie hobbésienne. Rousseau est avant toute autre chose un théoricien de la méthode : comme Hobbes, il veut démêler de toutes ses observations sur les hommes ce qui lui appartient en propre afin de saisir son essence, et par conséquent, la manière dont il doit faire société. [...]
[...] L'homme est-il un loup pour l'homme ? L'Histoire fait un plus grand sort à Caïn qu'à Abel ; dès l'Antiquité romaine, Plaute grave dans les esprits cette formule qui a fait date : homo homini lupus est1 l'homme est un loup pour l'homme. Dans notre bestiaire, le loup n'a pas bonne presse : paré de tous les vices, hypocrite et fourbe injuste et dominateur3, solitaire et indomptable La formule a été employée de façon assez célèbre par Hobbes, dans De cive (1641), pour caractériser ce qui constitue à son sens la nature de l'homme. [...]
[...] Le pacte tacite qui lie les hommes entre eux est en fait un pacte visant à dissimuler aux yeux des autres la violence qui habite chacun d'entre eux. Contrairement à l'anthropologie politique hobbésienne, l'anthropologie politique je n'ose dire la psychologie politique freudienne est fondée sur la canalisation du loup qui habite chaque homme plus que sur sa jugulation. En conclusion, l'homme est un animal malaisément domesticable. Cependant, les analyses d'anthropologie politique permettent de répondre aux questions posées. Pourquoi vivre en société ? Pour se protéger efficacement. Des autres, et de soi. [...]
[...] Les facultés d'anticipation propre à l'homme facultés que Rousseau lui reconnaît aussi et dont il fait un des marqueurs de sa différence par rapport à l'animal jouent beaucoup dans cet état de nature extrêmement violent : c'est autant la représentation de cette violence qui nous assiègerait qui nous conduit à attaquer les autres avant qu'ils nous attaquent mais, aussi, qui nous convainc de contracter avec eux pour se protéger. La théorie sociale hobbésienne est une théorie de la jugulation de cette brutalité par la société. [...]
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