L'histoire se veut la plus fidèle aux faits passés et pourtant, comment rendre compte à l'homme du présent, un temps passé que les hommes du passé ont vécu comme un présent? En d'autres termes, comment faire pour que l'histoire reste vivante, et que les hommes ne se désapproprient par leur passé, dans un desséchement de l'histoire, dans une impression floue des hommes d'autrefois, tout en conservant une certaine fidélité neutre aux faits? Entre objectivité prônée par un monde scientiste en perte de vitesse et une subjectivité réappropriante mais parfois tendancieuse, comment résoudre le paradoxe de l'histoire?
[...] C'est alors que peut s'effectuer normalement le devoir de mémoire. Le devoir de mémoire est un des buts essentiels assignés à l'histoire, l'historien par définition doit assumer le devoir de mémoire à l'égard des horreurs du passé et contre le temps facteur de disparition, d'oublie, le temps qui dilapide le passé. Mis pour restaurer la mémoire, apporte rune pérennité au passé, assurer les droits des morts, quel autre moyen que le récit ? Quel autre moyen que restaurer une certaine sensibilité ? [...]
[...] Ainsi, l'histoire en tant que science humaine dont le souci majeur est l'objectivité et la neutralité face aux faits révolus, peut donc se passer de récit ; se limitant à la chronologie qui assure bien l'exactitude factuelle tout en protégeant de tout apport subjectif dû à la narration. Et plus encore, l'histoire doit se passer de récit car menacée par celui-ci. Mais d'où vient alors cette réticence récurrente de la part des élèves à apprendre les chronologies des chapitres ? Il apparaît en fait que l'histoire reste lointaine, vide et se rapproche plus d'une érudition stérile que de la connaissance du passé humain. [...]
[...] Il s'agit alors d'une désappropriation par l'homme de son propre passé : les six millions de morts de la Shoah reste un chiffre, la première déclaration des droits de l'homme un papier officiel ou pompeux, la première bombe atomique sur Hiroshima ressemble vaguement à une explosion de grande portée. Pour que l'homme intègre son histoire, il faut donc qu'il sente que ce passé a existé et pour sentir cette existence, il doit revivre le passé grâce au récit : la subjectivité est alors nécessaire, s'approprier son propre passé revient à incorporer en soi, il s'agit de l'ordre de la connaissance du sujet. Paul Ricoeur disait d'ailleurs L'historien va aux hommes du passé avec son exigence humaine propre. [...]
[...] Si le récit, de par sa forme et ses origines, de par son appartenance au domaine littéraire, ne semble pas adapté à la science humaine qu'est l'histoire ; il s'agit d'adopter alors le récit historique. Ce dernier repose en effet sur l'équilibre et le dilemme même qui caractérise l'histoire : celui de vouloir faire revivre un passé aux yeux d'un sujet présent en restant fidèle et objectif à la réalité d'époque. Il lui faut donc le récit, qui seul permet de faire revivre, mais un récit adapté au métier d'historien. L'histoire ne peut donc se passer de récit, historique. [...]
[...] L'écriture fait donc lien entre l'expérience individuelle et la mémoire collective. L'écriture étant travail pour la reprise de la subjectivité dans l'exactitude factuelle, pour la prise de conscience de l'ampleur de ce qui reste inqualifiable, mène Paul Ricœur à davantage parler de travail de mémoire Quoi qu'il en soit, le récit est essentiel pour amener le sujet présent à intégrer et à se rappeler de l'horreur qu'il n'a pas vécu, qu'il revit grâce au récit mais qu'il aurait pu vivre. [...]
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