Il est fréquent qu'un étudiant soit surpris, sinon déçu, lorsqu'il constate que la version qu'on lui avait fournie d'un événement historique doit être remplacée par une version plus complexe, ou différente. Il se trouve de la sorte confronté à l'existence d'interprétations d'un même ensemble de faits, et il est souhaitable qu'il n'en conclue pas trop rapidement que, décidément, on raconte n'importe quoi en histoire, ou que ses professeurs devraient quand même se mettre d'accord sur une version constante de ce qu'ils prétendent lui enseigner (...)
[...] Car l'historien est également situé dans un réseau de théories concernant la causalité historique ou de philosophies de l'histoire qui l'amène à devoir choisir son bord. Privilégier une causalité fondée sur l'espace vital, sur le déterminisme économique, ou sur les 4 facteurs démographiques entraîne un choix des faits à expliquer (puisqu'il ne saurait être question de tous les prendre en considération), mais aussi l'adhésion à une philosophie, qu'elle soit celle de la providence chère à Bossuet, celle des ruses de la raison dans l'histoire selon Hegel, ou celle de la lutte des classes de Marx. [...]
[...] Et c'est aussi parce que la société vit sur des valeurs qui peuvent se modifier que l'interprétation du passé évolue en même temps qu'elle. Cela n'implique pas, dans le travail des historiens, une faiblesse ou insuffisance : c'est au contraire parce que ce travail est consacré à ce qui change que ses résultats sont eux-mêmes pris dans le changement et la multiplicité. [...]
[...] Il n'est donc pas étonnant que l'interprétation, qui par définition va produire des hypothèses et des significations dont on devine qu'elles sont contestables, apparaisse encore, pour la grande majorité des esprits, comme un défaut inhérent au récit historique, sinon comme témoignant d'une faiblesse dont les historiens devraient finir par se débarrasser en se mettant d'accord sur une version complète des faits La situation de l'historien RELATIVEMENT A SON OBJET On doit pourtant admettre qu'il n'existe d'historien, ou de récit historique, en situation ; l'interprétation fait en conséquence partie de son travail, non comme une faiblesse ou une preuve d'inachèvement, mais au contraire comme une part essentielle. On pourrait même considérer que le travail de l'historien ne peut être qu'interprétation. Il est banal de définir l'histoire comme la connaissance du passé. Encore faut-il en déduire quelques caractéristiques de son objet. Celui-ci est absent : il n'est accessible que par ses traces témoignages, documents de nature diverse, conséquences. [...]
[...] L'histoire en effet, même lorsqu'elle se prétend scientifique, ne semble guère pouvoir éviter de donner naissance à des récits entre lesquels existent des différences plus ou moins marquées, qui confèrent aux événements envisagés des significations divergentes. On pourrait être tenté de considérer un peu vite cette situation comme un défaut du récit historique. Mieux vaut sans doute se demander si les historiens peuvent éviter d'interpréter, ou si leur objet, leur façon de le considérer et les voies qu'ils empruntent pour le constituer ne rendent pas cette interprétation obligatoire, et du même coup particulièrement féconde Un vieux rêve UN RECIT DEFINITIF Le bon historien affirme Fénelon dans sa Lettre sur les occupations de l'Académie française, n'est d'aucun temps ni d'aucun pays Beau programme, propre sans doute à satisfaire les amateurs de vérité établie une fois pour toutes, mais dont on sait hélas qu'il est pratiquement irréalisable, c'est-à-dire qu'il ne correspond, ni à l'objet du récit historique et à la façon dont il est nécessairement construit, ni aux conditions dans lesquelles travaillent les historiens. [...]
[...] Or, on constate que le simple découpage de la temporalité met en route un travail d'interprétation. Si un historien choisit de travailler sur le règne de Louis XIV quelle part doit-il accorder aux années qui lui sont antérieures et à la situation dont hérite ce roi au moment de son accession au pouvoir ? Symétriquement, jusqu'à quand doit-il prolonger son étude, et analyser les conséquences du règne ? On voit que la réponse à ces questions élémentaires détermine déjà une orientation au récit, et implique des conceptions de la causalité en histoire, de l'efficacité à court ou long terme d'une action économique ou politique, de la détermination d'une décision par ses conditions, etc RELATIVEMENT A SON EPOQUE Le fait de s'intéresser au règne de Louis XIV ne tombe d'ailleurs pas lui-même du ciel. [...]
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