S'il y a “du sens” dans l'histoire, alors l'historien sera à même de le dégager. Mais une telle tâche est bien malaisée si l'on observe le spectacle chaotique des actions humaines. Dans ce fatras insensé, le sens d'un événement, pris entre ses causes et ses effets peut bien avoir du sens, mais l'histoire comme “tout” des événements, en a-t-elle un ? Penser l'histoire c'est établir de l'ordre dans ce qui peut n'apparaître d'abord que comme un chaos factuel dépourvu de toute organisation, de toute cohérence, de toute signification.
Procéder à une telle mise en ordre suppose que l'on pose à titre de postulat qu'il y a bien quelque chose à penser dans le devenir humain, que le désordre n'est pas irrémédiable. Cela revient-il alors à penser l'existence d'un sens, d'une orientation, d'une direction de l'histoire tout entière ? Mais pour dégager cette vue d'ensemble, l'historien n'est-il pas obligé de se faire philosophe, ou de laisser le philosophe s'attacher à cette étude ? Une telle démarche ne risque-t-elle pas d'engendrer une histoire dogmatique, faisant obstacle au travail de l'historien ?
[...] Les historiens ont tâche de conférer non un, mais des sens à l'histoire, car l'intelligibilité de l'histoire est réelle, mais son principe d'intellection n'est pas unique, mais pluriel. Veyne admet même la nécessaire subjectivité qui pousse l'historien vers tel ou tel objet d'étude, tout comme les historiens grecs étaient portés à faire l'histoire qu'ils vivaient, donc à choisir subjectivement ce dont ils allaient parler. Renoncer à l'objectivité ne se justifie pourtant pas, et l'historien se refuse à juger l'histoire, même s'il s'évertue de la comprendre. [...]
[...] I L'avènement de l'histoire comme avènement d'un sens L'orientation. Il n'y a pas d'histoire là où il n'y a qu'une simple chronologie, c'est-à-dire une juxtaposition purement contingente d'événements indépendants. Il n'y aurait pas non plus d'histoire si les événements advenaient en fonction d'une nécessité immuable. Quand le destin se substitue au hasard pour expliquer l'événement, celui-ci devient totalement insignifiant; qu'importe qu'il advienne d'une manière ou d'une autre puisqu'il n'est qu'un instrument aveugle. L'improbable hasard qui préside à la rencontre d'Œdipe avec Laïos, son père, devant les murailles de Thèbes est la réalisation de son propre destin tel qu'il avait été annoncé par l'oracle. [...]
[...] Formulé en termes nietzschéens, cela donne : le sens de l'histoire ressort de la subjectivité, du jeu des instincts, de la volonté de puissance qui est volonté de vie. A ce niveau se situent les critères assurant le départ entre une bonne histoire, qui se présente modestement comme une interprétation variable, et une mauvaise histoire qui pétrifie le flux de la réalité pour poser, derrière le monde des apparences, des idéaux ascétiques. Deux types de subjectivités. Mais alors, dira-t-on, est-ce là encore un sens? Un sens qui n'est plus objectif en constitue-t-il encore un? [...]
[...] La constitution d'un sens se fait ainsi accueil de l'Autre. Et par là l'histoire s'identifie à une éthique qui désigne la faculté de s'ouvrir à l'autre, en corrigeant ses propres catégories, ses préjugés et ses opinions reçues (Ricoeur, Histoire et Vérité, Chapitre “L'objectivité en histoire et la subjectivité de l'historien). La pluralité des sens. Paul Veyne, dans Comment on écrit l'histoire s'en prend précisément à cette écriture de l'Histoire, avec la majuscule, celle qui impose de façon dogmatique une interprétation de l'histoire et l'érige en vérité absolue. [...]
[...] L'histoire était limitée à l'Antiquité d'une part. D'autre part, il existait plusieurs systèmes particuliers d'histoires, avec une origine différente, des axes différents : l'Histoire de France, l'histoire familière des Valois . Contre cette discontinuité, Bossuet défend la totalité, l'universalité, en posant que c'est dans l'ensemble, et non l'accessoire, que se laisse deviner la providence et déchiffrer le sens. Voir III, chapitres I et VIII chez Bossuet. Les Empires se succèdent, la religion chrétienne demeure : qui est hasard à l'égard de nos conseils incertains est un dessein concerté dans un conseil plus haut, c'est-à-dire dans ce conseil éternel qui renferme toutes les causes et tous les effets dans un même ordre. [...]
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