Ce que nous appelons les circonstances de la vie, ce sont ces accidents imprévisibles, qui ne dépendent pas de nous et viennent nous saisir là où nous sommes. Ces évènements peuvent être anodins, réjouissants ou attristants ; en tout cas, ils peuvent nous affecter profondément ; et si nous acceptons fort bien de nous abandonner à la joie d'un instant heureux, il nous est arrivé à tous de traverser des circonstances défavorables, d'en être durablement peinés et de souhaiter alors être moins sensibles à la morsure du malheur. Pour être durablement heureux, ne faudrait-il pas justement ne pas faire dépendre son bonheur de circonstances toujours changeantes, et sur lesquelles nous n'avons aucune prise ? (...)
[...] La seule chose qui importe, c'est de rester maître de sa volonté : comme le dit Sénèque, participer à un banquet peut être un mal, et être attaché à un chevalet de torture un bien, si la première chose arrive dans la honte et la seconde dans l'honneur le sage est justement celui qui refuse de laisser son âme être troublée par les circonstances, si défavorables qu'elles soient, et qui leur oppose une totale indifférence. Seul ce qui dépend de moi peut être un bien ou un mal. Le seul bien, c'est donc de rester maître de sa volonté ; le seul mal, c'est de vouloir changer le cours du monde plutôt que ses désirs. [...]
[...] Il existe certes des circonstances malheureuses, mais le sage est précisément celui qui, sachant les prévoir, s'arrange pour ne pas trop y prêter le flanc. II. L'indifférence stoïcienne face aux circonstances 1. L'identification du bonheur et de la vertu Le sage épicurien est celui qui se tient à l'écart du tumulte du monde, qui a appris ascétiquement à se contenter de presque rien et qui savoure simplement le plaisir qu'il y a à boire un verre d'eau lorsqu'il a soif. Sera-t-il heureux pourtant en toute circonstance ? [...]
[...] Autrement dit, suffit-il d'une volonté maîtresse d'elle-même pour connaître le bonheur à coup sûr ? I. La prudence épicurienne 1. La nécessité d'un tri des désirs Toutes les écoles philosophiques de l'Antiquité grecque avaient pour but de nous faire gagner l'ataraxie ou l'absence de trouble inquiétant l'âme. Ainsi, ce que l'épicurisme et le stoïcisme ont en commun, c'est l'idée que le bonheur est une affaire trop sérieuse pour laisser le hasard en décider : le sage sera heureux, à condition de suivre les règles de l'école, qui lui permettront d'éviter la confusion, le trouble et le malheur. [...]
[...] C'est absurde ; c'est à l'instant présent que l'homme heureux est heureux. Pourtant, si le bonheur devait dépendre de nous et non du hasard, c'est-à-dire de notre vertu. L'homme vertueux est celui qui a peu à peu pris l'habitude d'agir avec justice, avec prudence, avec courage : les circonstances favorables deviennent pour lui autant d'occasions d'exercer sa force d'âme. Contrairement à ce que croient les stoïciens, les circonstances ne sont donc pas indifférentes : l'homme vertueux n'est pas celui qui est insensible aux circonstances malheureuses, mais il ne serait pas vertueux si le moindre coup du sort venait à l'ébranler. [...]
[...] Songeons ici au tétrapharmakon d'Epicure, c'est-à-dire au quadruple remède : les biens sont faciles à obtenir, les maux faciles à éviter, la mort n'est pas à craindre, et les dieux ne sont pas à redouter. L'idée, c'est que tout plaisir est en soi un bien, une qualité insusceptible de degrés, mais que les désirs quant à eux sont qualitativement différenciés. Il faut en effet distinguer les désirs naturels et nécessaires (comme désirer la gloire ou la fortune). Or seuls les désirs non naturels et non nécessaires sont faciles à satisfaire : les désirs naturels mais non nécessaires nous font dépendre des caprices du hasard (s'habituer au luxe est chose dangereuse, car je peux un jour être ruiné et l'absence des plaisirs superflus auxquels je me serai habitué sera alors source de malheur) ; quant aux désirs non naturels et non nécessaires, ils sont inextinguibles (on n'a jamais assez de fortune ou de célébrité, lorsqu'on se met à les désirer). [...]
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