“La philosophie est une ontologie phénoménologique universelle, partant de l'herméneutique du Dasein, laquelle, en tant qu'analytique de l'existence, a fixé le terme du fil conducteur de tout questionner là ou il jaillit et la où il re-jaillit” (SZ, p.37) : voilà comment Heidegger définit la philosophie au paragraphe 7 d' Être et Temps. Cette définition, bien qu'assez ambiguë de prime abord, a le mérite de lier trois termes représentatifs de la démarche philosophique de Heidegger : ontologie, phénoménologie et herméneutique. Paul Ricœur écrivait à ce propos que “S'il reste vrai que l'ontologie n'est possible que comme phénoménologie, la phénoménologie elle-même n'est possible que comme herméneutique, pour autant que sous le régime de l'oubli, la dissimulation est la condition première de toute entreprise de monstration dernière” (Le temps raconté, Le Seuil, 1985, p.93). Les trois entreprises semblent donc découler l'une de l'autre : en effet, l'ontologie se veut une dé-couverte de l'être, mais, cette dé-couverte ne peut se faire, sur le plan méthodique, que phénoménologiquement, en montrant ce qui apparaît à partir de son apparaître, le phénomène étant la seule donnée première sur la base de laquelle travailler ; or étant donné que l'être est justement ce qui n'apparaît pas, mais ce qui se retire, se dissimule sous l'étant, ce n'est qu'un “retour aux choses même”, caractérisant la démarche herméneutique, qui pourra permettre ce dé-couvrement de l'être. Mais en outre, “l'herméneutique du Dasein”, à laquelle prétend se livrer Heidegger, “est [...] une phénoménologie car sa tâche est de reconquérir phénoménologiquement le phénomène essentiel du Dasein contre sa propre dissimulation” (Grondin, p.53). La légitimité de l'herméneutique du Dasein est donc double : d'une part, comme interrogation méthodique de l'étant insigne, elle vise à dire quelque chose de l'être en tant qu'être et participe donc du projet heideggérien d'une ontologie-fondamentale, d'autre part, en tant que lutte contre le “bavardage” par lequel le Dasein se perd dans l'inauthenticité, comme confrontation des énoncés aux choses elles-mêmes, l'herméneutique est un moyen pour le Dasein de se ressaisir dans son phénomène essentiel, “la possibilité d'une ouverture sur soi comme projet d'existence”, et peut ainsi faire rejaillir ses éclaircissements sur le Dasein lui-même (Grondin, p.53).
[...] Ce qui est décisif, ce n'est pas de sortir du cercle, c'est de s'y engager convenablement. Ce cercle du comprendre n'est point un cercle où se meut un mode quelconque de connaissance, mais il est l'expression de la structure existentiale de préalable du Dasein lui-même.”(SZ, p. 124) On l'aura compris, une bonne explicitation, n'est pas celle qui vise un idéal de connaissance objective qui serait celui des sciences de la nature, mais une interprétation consciente de sa structure circulaire, des nécessaires présupposés sur lesquelles elle se fonde. [...]
[...] Heidegger penserait toute interprétation sur le modèle de l'interprétation de l'être : conçoit thématiquement l'interprétation comme Auslegung (explicitation) sur le modèle de l'Auseinandersetzung (ex-plicitation), par exemple un marteau que l'explicitation ex-plicite en son pour-que”(Ferrié, p.36). Le philosophe réduirait en fait l'interprétation en général à la “facile ex-plicitation du pour-que de l'étant”(ibid.). Et ce, alors même que précisément l'interprétation de textes ne peut être comparée à celle de l'étant intramondain en son pour . justement du fait que chose du texte, à la différence du marteau et du texte comme chose étant, n'est pas à-portée-de- la-main”(ibid.). [...]
[...] “Seul le Dasein, par suite, peut être sensé ou in-sensé”(SZ, p.151). Voici comment Gelven résume l'existential du sens : meaning (Sinn), a particular use by Dasein in revealed to Dasein by Dasein in terms of its function for Dasein. [ . ] Meaning is a way of existing, a mode of one's being able to (Gelven, p.99). Comme nous l'avons vu, l'explicitation comme existential, et donc toute interprétation en général, qui découle de celle-ci comme mode second, est toujours fondée sur des pré-conceptions. [...]
[...] Mais si, l'herméneutique de Heidegger, entendue ontologiquement comme interprétation de l'être-au-monde (ou herméneutique du Dasein) a entraîné certains à y voir la possibilité d'un nouvel de comprendre” en général, et notamment dans le domaine philologique (Gadamer), d'autres ont vu dans le “retour aux choses mêmes” proposé par Heidegger comme modèle de la juste interprétation une nouvelle forme de dogmatisme. C'est pourquoi, il nous a semblé intéressant de conclure ce travail sur une remise en question de l'herméneutique heideggérienne, grâce à la critique qu'en propose Christian Ferrié dans son ouvrage Heidegger et le problème de l'interprétation. [...]
[...] Ce travail, nous dit-il, doit être un effort permanent de l'interprète. Mais voici comment Gadamer précise l'herméneutique de Heidegger telle que développée brièvement au paragraphe 32 Être et Temps : “Dès qu'il se dessine un premier sens dans le texte, l'interprète anticipe un sens pour le tout”(ibid.). Le projet interprétatif est constamment réenvisagé en fonction de la progression de la compréhension de l'ensemble du texte et les concepts évoluent également au fur et à mesure que la compréhension progresse. Le contournement des “erreurs suscitées par des préconceptions qui n'ont pas subi l'épreuve des choses mêmes” nécessite “élaborer les projets justes et appropriés à la chose, qui en tant que projets sont des anticipations qui n'attendent leur confirmation que des choses mêmes”(op.cit, p.105). [...]
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