Héautontimorouménos, baudelaire, charles baudelaire, autoflagellation, flagellation, punition, châtiment, altérité, inconscient, subconscient, psychanalyse
[...] Nulle part ailleurs peut-être que dans ces vers le malaise relatif à l'idée
d'auto-flagellation ne nous apparaît avec autant de clarté et de force ; du reste, rien d'étonnant
à ce que le poète maudit, dans ces pérégrinations intellectuelles parmi les insondables tortures
de l'âme humaine, fût amené à croiser la figure de l'héautontimorouménos : héritée d'une
comédie de Térence2, l'expression - "celui qui se châtie lui-même" - renvoie à une réalité dont
les occurrences, à divers degrés, dépassent de beaucoup le strict cadre de l'imaginaire
littéraire. Baudelaire, dont on a souvent pu dire avec raison qu'il fait oeuvre fine de
psychanalyse, traduit ici, en grossissant le trait selon l'esthétique habituelle de la violence et
de la douleur, un désordre intime des plus perturbants, tant pour celui qui le vit que pour celui
qui l'observe ; la vision du flagellant dérange autant que, d'une certaine manière, elle fascine -
le poète ne s'y était pas trompé. Car le châtiment systématique du Moi par lui-même relève
bien de la pathologie, et ne saurait être assimilé au "simple" remords de l'éthique
traditionnelle : il est en effet délibéré, compris et presque rationnellement calculé - la place
qui tient le pur affect y est bien moindre qu'il n'y paraît au premier abord. Or, au titre de
pathologie proposée à l'étude de la psychanalyse, il n'est pas douteux que ces pratiques aient
du rapport avec certaines formes d'angoisse intime, et le Dr. Allendy ne manquerait
évidemment pas de mettre au jour les fondements psychosociologiques particuliers du
comportement de Ménédème, de même qu'il expliqua celui des prostituées3 ; mais ce n'est pas
le fond de notre propos : ce qui doit ici nous intéresser, c'est la dimension philosophique
qu'acquiert la figure générale de l'héautontimorouménos liée à la notion générale d'angoisse.
[...] Pour autant, l'acte d'auto-flagellation ne répond-il qu'à de purs affects ? Rien ne semble moins évident : à considérer en effet l'exemple le plus classique, celui des flagellants dans certains ordres monastiques actuels ou anciens, comme celui des chartreux ou des carmes, il apparaît que l'usage systématisé de la mortification en vue d'une pénitence implique tout de même une forme de rationalité ; le calcul de la fréquence, de l'importance des peines imposés y est réglé de manière extrêmement précise, et pour ainsi dire consacrée, de sorte que chaque membre de la communauté peut connaitre, par habitude, le degré de mortification exigé en chaque situation. [...]
[...] C. BAUDELAIRE, Les Fleurs du Mal, Paris, Gallimard pp.117- TÉRENCE, Théâtre complet, Paris, Gallimard La comédie, inspirée de Ménandre, met en scène Ménédème, père de famille qui ayant injustement chassé son fils du foyer, s'astreint par remords à une vie rude R. et Y. ALLENDY, Capitalisme et Sexualité, Paris, Éd. [...]
[...] à voir le concept d'angoisse, et que nous permet-elle d'en savoir ; pourquoi suscite-t-elle à son tour de nouveaux motifs d'angoisses pour les individus "sains" - du point de vue psychanalytique - ; quels flancs prête-t-elle, en somme, à l'étude philosophique : telles sont les questions qui constitueront les grandes lignes de la présente réflexion. * * * Qui est l'héautontimorouménos ? La question mérite d'être posée : si, à l'évidence, il y a là plus qu'un simple topos littéraire, il convient de voir quelle frontière doit être fixée entre, d'une part, le remords habituel, quotidien, qui saisit l'individu à la suite d'une action qu'il sait injuste, et d'autre part la véritable auto-flagellation qui, bien entendu, ne saurait être entendue au seul sens littéral, en tant que punition corporelle par le fouet. [...]
[...] Chrémès n'est pas moins sensible à l'influence de l'altérité que le vrai héautontimorouménos, Médénème Voir G. BACHELARD, La formation de l'esprit scientifique, Paris, Vrin L'un des grands intérêts de la thèse développée est d'exporter les découvertes de la psychanalyse dans le champ épistémologique ; les interventions de l'inconscient y constituent autant d'obstacles au progrès scientifique. philosophique du suicide, encore que d'assez loin ; Ménédème n'est pas Sisyphe, loin s'en faut : il y a dans le second cas un élan du θυµος qui confine à l'hybris, quand le premier n'ajoute rien à la vie que le désaccord de soi avec soi-même. [...]
[...] * * * On mesure en plein, ici, les bouleversements induits dans le domaine des sciences humaines et sociales par l'observation de l'inconscient : la science politique, en particulier, en ce qu'elle est essentiellement fondée sur une certaine psychologie de l'individu, doit tenir compte de l'ambivalence de cette psyché, ambivalence dont l'héautontimorouménos tient lieu, si l'on peut dire, d'idéaltype wébérien. Cette figure, puisqu'on l'a admise comme telle, si elle admet quelques occurrences concrètes - on a discuté plus haut du cas des flagellants offre plus d'intérêt à être prise comme allégorie révélatrice de la déchirure intime du sujet ; Ménédème, au titre de personnage de comédie, n'est qu'une entéléchie : l'héautontimorouménos ne montre qu'un Surmoi gonflé à l'extrême, peu vraisemblable dans les faits, mais symptomatique d'un problème, d'une angoisse éminemment philosophique, dont nous avons cherché à rendre ici la substance. [...]
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