L'histoire a montré qu'il était parfois difficile de réduire un grand homme, ou son œuvre, à une certaine nationalité, bien que celui-ci comme son travail soit souvent particulièrement célébré en son pays d'origine. L'appartenance d'un grand homme à un Etat particulier est finalement paradoxale, car dans le même temps l'œuvre accomplie lui permet généralement de pouvoir se réclamer d'une portée bien plus grande que l'Etat qui l'a vu naître.
Thomas Mann a exprimé son point de vue sur ce paradoxe : « Un grand Français, un grand Russe, un grand Allemand appartiennent à l' « humanité » mais ils ne seraient pas si grands et n'appartiendraient donc pas à l'humanité s'ils n'étaient pas à ce point allemand, français, russe ». Le problème ainsi soulevé relève du domaine culturel. Le grand homme, par ce qu'il représente et ce qu'il a achevé est étroitement lié à la culture. C'est celui qui incarne au plus haut point les caractéristiques de la culture nationale dont il est issue et donc il se fait, à partir du moment où sa grandeur lui permet d'appartenir à l'humanité, l'exemplaire ambassadeur. Cependant, on pourrait objecter que ce n'est pas là ce que le « grand homme » recherchait en premier lieu. Comme le montre la conception allemande de la « Kultur », il n'est pas possible d'échapper totalement à la culture qui nous a vu naître et dans laquelle notre vie a baignée. Nous sommes donc face à un paradoxe : le grand homme crée avant tout avec pour horizon sa culture première, mais le génie de son travail permet à tout homme de l'apprécier à sa juste valeur.
Face à ce paradoxe, entre l'appartenance du « grand homme » à la culture nationale ou celle de l'Humanité, on peut donc se demander quelles relations ces deux « cultures » d'un type différent entretiennent-elles entre elles autour du « grand homme », avant d'essayer de lire des phénomènes culturels récents à la lumière des enseignements qu'on aura pu tirer du discours de Thomas Mann. On s'attachera pour cela à étudier d'abord sa première affirmation, selon laquelle la portée du grand homme est avant tout l'humanité toute entière. Toutefois, il faudra ensuite voir en quoi le grand homme ne peut être détaché de sa culture nationale d'origine, ce qui nous amènera à analyser plus en détail le paradoxe précédemment évoqué. Enfin, il conviendra de replacer ces informations dans notre contexte actuel, ainsi qu'à la lumière d'autres phénomènes liés à la culture, tels que l'intervention de l'Etat ou encore l'avènement de la culture de masse.
[...] Les grands hommes n'appartiendraient donc pas à l'humanité s'ils n'étaient pas à ce point allemand, français, russe nous dit Thomas Mann, mettant en lumière l'existence des grandes particularités qui définissent et différencient les cultures nationales. On peut trouver la manifestation de ces différences en divers domaines, notamment de la vie courante, qu'il s'agisse par exemple des goûts en matière cuisine, de musique, de style. Ces éléments, s'ils peuvent apparaître peu significatifs, ne doivent pas être occultés dans l'influence qu'ils ont sur l'œuvre produite par un artiste. [...]
[...] On voit donc bien ici qu'un tel sondage est le reflet de la culture de masse, qui amène les gens à mélanger les véritables grands hommes, qui conçoivent véritablement la culture nationale, et des personnalités du monde de la télévision. Nous touchons donc au problème soulevé par Hannah Arendt dans La crise de la culture, où elle explique qu'il n'est en fait plus la peine de parler de Culture mais bien uniquement de divertissement. Le développement du divertissement permet de toucher beaucoup de monde, de par son attractivité, sa facilité, la passivité qu'il requiert. [...]
[...] En développant cette thématique, on peut voir qu'on pourrait en quelque sorte ranger les grands hommes parmi les objets culturels, étant donné qu'ils sont pour la plupart des gens une représentation possédant certaines qualités et défauts plus qu'une vraie personne. Il est ainsi possible de tracer une parallèle entre les grands hommes et la culture. Goethe avait pu faire l'expérience de la proximité des cultures entre elles, alors qu'il lisait un roman chinois dans l'espoir d'y trouver quelque chose de fort différent des lectures européennes. [...]
[...] Les chiffres étaient bien évidemment truqués, c'est ici l'Etat qui a créé le grand homme, afin de souder la nation autour de cet impératif productiviste. Néanmoins, il paraît bien difficile dans ces conditions de faire partager au reste du monde l' exploit de Stakhanov. En somme, puisque le mythe Stakhanov ne pouvait exister sans le soutien d'une propagande, celui-ci n'appartient pas à l'humanité, mais seulement aux soviétiques. Il convient à présent d'évoquer un autre phénomène susceptible d'être analysé à la lumière du discours de Thomas Mann, il s'agit de l'avènement de la culture de masse. [...]
[...] Seule compte la volonté de vivre ensemble, la nation est ainsi conçue comme un plébiscite de tous les jours Cette vision, axée autour de la notion d'appartenance à l'humanité, est en quelques sortes celle des Lumières. En revenant à ce qu'exprimait Thomas Mann, on peut donc dire que le concept d'universalité s'applique concrètement au grand homme, en ce qu'il appartient à l' humanité Il en va de même pour la grande œuvre, à laquelle peut s'appliquer le même adjectif : universelle. [...]
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