« Tout ce qui a été écrit par les hommes sur les femmes doit être suspect, car ils sont à la fois juge et partie ». Cette phrase de François Poullain de la Barre est portée en épigraphe par Simone de Beauvoir dans le Deuxième sexe ; elle reconnaît dans l'auteur du XVIIème siècle un défenseur du féminisme. Ce dernier a en effet publié entre 1673 et 1675, trois ouvrages : De l'égalité des deux sexes, discours physique et moral où l'on voit l'importance de se défaire des préjugés (1673) , De l'éducation des dames pour la conduite de l'esprit dans les sciences et dans les mœurs, entretiens (1674) , De l'excellence des hommes contre l'égalité des sexes, (1675) , où il lutte contre le préjugé qui tient les femmes pour des êtres inférieurs aux hommes. Le premier ouvrage se présente sous la forme d'un traité qui cherche à montrer, par les arguments du « vulgaire » d'abord, puis par ceux des « savants » (scolastiques), que le préjugé est infondé. Le second est organisé sous la forme d'entretiens, où quatre « personnes de qualité » discutent du premier ouvrage et découvrent que l'un d'eux est l'auteur de L'égalité entre les deux sexes. Le troisième texte dont le titre peut sembler paradoxal pour un livre défendant les femmes, est en fait structuré autour d'une réfutation du premier ouvrage, réfutation écrite par Poullain personne n'ayant rédigé de critique de sa thèse, une réponse forte en faveur de l'égalité des sexes suit l'(auto)réfutation.
Si Poullain est reconnu par les féministes comme un de leurs plus anciens partisans, on lui accorde aussi un autre qualificatif. Paul Hoffman considère, ainsi, dans La femme dans la pensée des Lumières que « c'est devenu un lieu commun que de faire de Poullain de la Barre un cartésien ». Poullain appartient à la génération qui a suivi Descartes, s'il n'a pas été influencé directement par le philosophe, il a connu sa doctrine après avoir abandonné ses études de scolastique et, effectivement, il défend, ou du moins divulgue la pensée cartésienne dans ses ouvrages féministes.
Nous sommes donc face à un auteur cartésien et féministe, une des questions qui nous guidera au cours de ce travail sera de savoir si cartésianisme et féminisme sont nécessairement liés, ou si Poullain de la Barre nous fait découvrir une interprétation possible de la philosophie de Descartes. En effet, Poullain s'appuie clairement sur certains acquis cartésiens, dont la distinction des substances, pour valider ses thèses féministes, mais il nous faudra nous demander si on peut tirer directement de Descartes ces positions en faveur des femmes ou si elles ne sont possibles que par des torsions imposées à la philosophie cartésienne. Nous rappelant que Paul Hoffman tient pour « lieu commun » le cartésianisme de notre auteur, nous aurons aussi à réfléchir sur sa validité, et adopter d'une certaine manière l'attitude de Poullain qui invite ses lecteurs à remettre en cause les opinions communes. Il nous faudra étudier les œuvres de cet auteur pour essayer de répondre à différentes questions : Poullain est-il vraiment cartésien ? Que représente son cartésianisme ? En quoi justifie-t-il son féminisme ?
[...] Il enjoint même ses élèves, dans L'éducation des dames, à convaincre les hommes de leur égalité considérant que pendant que (leurs) charmes tiendront les cœurs attachés elles doivent faire en sorte que la beauté de (leurs) pensées ravissent en admiration les esprits »13. Il abandonne dès lors des arguments que l'on pourrait qualifier de rationnels, et adopte d'une certaine manière le langage des galants, vantant les mérites des dames du monde. Il envisage également de justifier la possibilité pour les femmes d'aborder des études comme la médecine en invoquant leur capacité à appliquer des remèdes et même à les trouver il se réfère ici aux dires de l'opinion commune, défendant la valeur des remèdes naturels. [...]
[...] En effet, Poullain s'éloigne à plusieurs reprises des thèses cartésiennes, qui n'abordent pas tous les domaines sur lesquels il entend réfléchir, et il tire des écrits cartésiens des conséquences qui n'y sont pas clairement explicitées. Madeleine Alcover nous fait même remarquer que Descartes a pu envisager une inégalité des sexes dans les Primae cogitationes circa generationen animalium, mais que ce texte n'était pas connu de Poullain, cela signifie cependant que ce dernier, en développant une thèse féministe à partir de la philosophie de Descartes, a pu tirer des conséquences qui entrent en contradiction avec ce que Descartes a pu penser. [...]
[...] et explique à chaque fois pourquoi les femmes possèdent ces défauts. On peut ne citer qu'un exemple : si les femmes sont avares c'est parce qu'ayant beaucoup de peine à acquérir peu de bien elles y sont plus attachées que les hommes, leur avarice vient donc de l'inégalité dans laquelle la tradition les enferme. Ce constat permet à Poulain de la Barre de défendre l'idée d'une réforme de l'instruction, en effet si les défauts que l'on peut reprocher aux femmes sont le fruit de leur éducation, celle-ci peut aussi permettre de les corriger. [...]
[...] Cependant comme face à la philosophie cartésienne Poullain ne se pose pas en suiveur il développe à partir des thèses hobbesiennes une théorie politique qui lui est propre. En effet, il n'adhère pas à la totalité des positions hobbesiennes. Il ne reconnaît, par exemple, pas la puissance absolue du souverain, que Hobbes défend selon l'argument que le but premier, et dernier, de l'Etat consiste en sa propre conservation afin de préserver la paix civile, et que, pour cela, le Léviathan ne doit pas être limité dans son action. [...]
[...] Paul Hoffman considère, ainsi, dans La femme dans la pensée des Lumières 4que c'est devenu un lieu commun que de faire de Poullain de la Barre un cartésien Poullain appartient à la génération qui a suivi Descartes, s'il n'a pas été influencé directement par le philosophe, il a connu sa doctrine après avoir abandonné ses études de scolastique et, effectivement, il défend, ou du moins divulgue la pensée cartésienne dans ses ouvrages féministes. Nous sommes donc face à un auteur cartésien et féministe, défendant l'idée qu'être cartésien c'est aussi "être cartésienne" comme le précise Marie- Frédérique Pellegrin dans sa conférence "Etre cartésienne. Poullain de la Barre" (qui sera publiée en 2009, au sein du collectif "Qu'est-ce qu'être cartésien ? " sous la direction de Delphine Kolesnik aux presses de l'ENS). [...]
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