Le mot « démagogue » vient du grec demos et agogos et signifie : celui qui conduit le peuple. À l'origine ce mot n'avait pas de connotation négative. Il était dans la Grèce antique le chef d'un parti populaire.
Mais la vision négative du démagogue n'a pas tardé à exister également, puisque Aristote parle souvent du démagogue comme nous en parlons nous, c'est à dire comme d'un politicien qui flatte la multitude afin de gagner et exploiter ses faveurs.
La question donc que nous nous poserons ici est la suivante : comment s'opère le glissement du démagogue au sens ancien (celui qui conduit le peuple, c'est-à-dire peut-être n'importe quel homme politique) au démagogue au sens nouveau : celui qui flatte le peuple.
Nous nous demanderons d'abord dans quelles conditions peut apparaître la figure du démagogue. Ensuite nous chercherons à savoir comment procède le démagogue, c'est-à-dire qu'est-ce que la démagogie. Enfin, nous réfléchirons sur ce qu'est le pouvoir réel, effectif du démagogue.
[...] La société de consommation est une société ordonnée par une rhétorique du plaisir. Il faut comprendre que c'est un modèle d'organisation de la société, car cela peut régir tous les rapports des hommes entre eux. Je ne dis pas que ça le fait, je dis simplement que ça peut le faire. On sent intuitivement combien il serait possible de rapprocher cette rhétorique du plaisir de la flatterie dont parlent Platon et Aristote, et qui définit la démagogie. Mais ce qui est déconcertant, et en même temps logique d'après ce que nous avons dit du pouvoir réel du démagogue, qui est selon nos conclusions quasi nul, c'est qu'il n'y a aucun démagogue, qui de façon intentionnelle et calculatrice ait décidé d'employer cette rhétorique afin de prendre le pouvoir et de dominer. [...]
[...] À l'assemblée, si tu dis quelque chose, et si Démos d'Athènes, lui, ne parle pas comme toi, tu changes d'avis et tu finis par dire tout ce que Démos d'Athènes veut que tu dises. Dans ces conditions, on peut se demander quel pouvoir il reste au démagogue. Il faut qu'il soit bien malin en effet, pour réussir à concilier à la fois les fins qu'il se propose et une obéissance totale aux désirs du peuple, obéissance sans laquelle il serait immédiatement éjecté du pouvoir. [...]
[...] On flatte un animal. Par extension, flatter signifie faire plaisir. Enfin, cela signifie complaire à quelqu'un, entretenir ses illusions, afin de le tromper. Si on condense toutes ces définitions, on retrouvera l'expression : caresser dans le sens du poil, qui signifie exactement ce que c'est que flatter, puisqu'on ne caresse quelqu'un dans le sens du poil qu'afin d'obtenir de sa part plus de complaisance, et donc d'obtenir de lui ce que l'on désire. Aristote, dans les politiques, explique qu'autrefois je cite les démagogues étaient pris parmi les chefs militaires, car on n'était pas encore habiles dans l'art des discours, alors qu'aujourd'hui avec le développement de la rhétorique, ceux qui sont capables de parler deviennent démagogues. [...]
[...] Mais c'est l'inverse qui semble se produire. On n'assiste pas à un éclatement des rhétoriques, mais au règne d'une seule grande rhétorique générale et extrêmement simple qui semble aujourd'hui dominer nos sociétés. Cette rhétorique, cela ne vous a pas échappé j'imagine, est la rhétorique du plaisir. Il suffit de prendre le métro, ou d'allumer la télé pour être bombardé d'images et de discours qui participent de cette rhétorique du plaisir. Cela concernera n'importe quel domaine, n'importe quel objet. Le café, la lingerie, les voitures, même l'école, ou encore l'amour : tout est question de plaisir. [...]
[...] Et le régime cessera d'être une démocratie. Donc, si le démagogue veut se maintenir au pouvoir sans changer la constitution, donc sans transformer le régime en tyrannie, il se voit forcé de satisfaire sans cesse le peuple, et de ne jamais faire quoi que ce soit qui puisse effaroucher ou irriter le peuple, et donc, en définitive, de passer sa vie à le flatter. Et le démagogue en définitive, soit qu'il espère encore conduire subrepticement la cité vers le bien, soit qu'il souffre tout simplement de la passion du pouvoir, sera toujours contraint de passer la majeure partie de son temps à s'occuper des désirs et des peurs du peuple, donc à le flatter, au lieu d'organiser vraiment la vie de la cité. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture