La fiction définit ce qui se détache de ce que nous connaissons comme existant dans la réalité, le caractère imaginé et imaginaire des choses. Si le fictif peut être assimilé à l'imagination, c'est parce que ces deux concepts peuvent être réunis par la faculté de former ou de combiner des images et des idées. Dans la fiction, le donné est dépassé ou recréé. Par là même, le paradoxe du sujet « une fiction peut-elle être vraie ? » surgit. Le vrai, la vérité, sont une propriété du jugement humain ou du langage et désignent l'adéquation de ce qui est dit à ce qui est, la conformité et la correspondance entre les vues de l'esprit et la réalité. Le problème réside dans le fait que, par définition, la fiction ne donne pas le réel mais le transfigure. Dès lors, peut-on envisager des fictions vraies, ou la fiction ne peut-elle qu'être simplement authentifiée par le vrai ? Quelle relation peut-on établir entre une fiction, ce qui n'est pas, et la vérité, ce qui est ? L'imagination est-elle forcément trompeuse ? Dans ce cas, l'imagination pourrait indiquer la vérité, en ce sens qu'il suffirait de la démentir pour aboutir au vrai. Mais ce qui nous préoccupe est de savoir dans quelle mesure il existe une réalité de la fiction. Si une fiction peut être vraie, c'est que le réel et l'imaginaire peuvent s'éclairer réciproquement jusqu'à former un tout. Dès lors, la fiction et le vrai sont-ils deux réalités tellement contradictoires qu'un dépassement des deux concepts vers une réunion n'est pas envisageable ; ou bien est-il possible de confondre le vrai et le fictif, le réel et l'imaginaire, en allant au-delà de l'artifice suggéré par la fiction ?
[...] La fiction permet un dépassement dans la création de mondes plus vrais que la vie réelle. Une transfiguration de la réalité est réalisée. La dimension fictive de la fiction en est elle-même estompée. Si tout passe par la littérature, y a-t-il des limites à cet absolu posé et revendiqué par le Livre ? Non, car notre monde humain ne représente qu'une quantité infinitésimale face à la vérité absolue que la littérature érige. Un problème se pose alors : quelle est la place de l'homme dans la vérité et la fiction ? [...]
[...] Dans Le Tour d'écrou de Henry James, les situation géographiques sont connues du lecteur : Londres, Harley Street, Hampshire. Les repères sont posés. La situation de la nouvelle institutrice n'est pas déroutante non plus, et les noms des personnages correspondent à l'atmosphère britannique qui se dégage du roman. Toutefois, la difficulté qui surgit au cours de la lecture est celle de l'apparition d'agents surnaturels, tels que les décrit la narratrice. Les fantômes de Miss Jessel et Quint, anciennement liés aux enfants Miles et Flora que la narratrice a pour mission d'éduquer, apparaissent au fil de la lecture, à la surprise du lecteur comme de la narratrice. [...]
[...] En effet, de ce décalage perpétuel avec la réalité que nous observons dans l'univers romanesque nous pourrions voir plutôt une réinvention, une recréation du monde sous la plume de l'auteur. Le procédé de l'ironie semble être assez riche à décoder en littérature. Alors que l'ironie consiste à dire le contraire de ce que nous pensons, elle peut rester hermétique, vide de sens à la première lecture. Ainsi, derrière les apparences de ce que l'auteur nous livre par l'écriture, la littérature est capable de nous mettre en présence du vrai. Quelle est l'utilité de courir le risque d'une méprise de la part des lecteurs ? [...]
[...] Une obstination à ne jamais s'éloigner du vrai aboutit finalement à le quitter, ne serait-ce que sur quelques pages, pour obéir à l'attrait de la fiction qui guide l'écriture romanesque. Dès lors, nous pouvons nous demander si cette esthétique de la fiction vraie n'a pas finalement pour but une certaine nuance du vrai : l'effet de vraisemblable. Le vraisemblable, ce qui est semblable au vrai, n'est pas le vrai. Il s'en approche certes, mais ne couvre pas la même réalité. Il semble plus approprié de parler d'une fiction vraisemblable que d'une fiction vraie. Fiction et vraisemblable ne sont pas antinomiques mais, au contraire, complémentaires, voire harmonieux. [...]
[...] Par ailleurs, nous savons qu'un romancier qui travaille à son œuvre a conscience lui aussi qu'il écrit une fiction, même dans le cas de l'autobiographie : la mémoire peut être défaillante et donc mener à mêler fictif et vrai. Des arrangements de l'histoire, conscients ou non, peuvent également avoir lieu. Par là même, une fiction par définition, semble ne pas pouvoir être vraie. Comment la vérité peut-elle prendre appui sur l'artifice ? Comment toucher la vérité quand on est en présence du discours et de l'artifice ? Le roman de Diderot, Jacques le Fataliste, semble pouvoir illustrer la manipulation qui s'opère sur les lecteurs dès lors qu'ils veulent se fier aux dires d'un personnage. [...]
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