La liberté m'apparaît dans un premier temps comme ce qui me permet de prétendre être l'auteur de mes actions et de mon vouloir. Mais elle est aussi ma capacité à pouvoir réaliser mon vouloir. Je veux non seulement être l'auteur de mon vouloir (pouvoir vouloir) mais je veux aussi pouvoir réaliser mon vouloir (vouloir pouvoir), sans quoi ma liberté serait une simple abstraction. Que serait une liberté qui n'existerait que dans la pensée mais qui ne pourrait jamais réaliser son vouloir ?
Certes je ne peux pas tout : ainsi je ne peux pas dépasser les limites imposées par mon corps et il est vrai qu'il semble assez absurde de ne jamais vouloir mourir, ou encore de vouloir vivre sans manger. La nature elle-même impose ses limites : être dans le monde, ne serait-ce que physiquement, c'est devoir accepter les résistances de la matière. Mais qu'en est-il de la présence d'autrui dans cet espace qui m'entoure ? Est-ce que les autres ne sont pas aussi à leur manière un facteur de limitation de ma liberté, dans mon vouloir comme dans mon pouvoir ?
[...] II) Autrui n'est-il pas la condition de possibilité de ma liberté ? Il est considérablement réducteur de ne voir en autrui qu'une limitation de ma liberté. Car s'il est vrai que la présence d'autrui vient réduire le champ des possibles pour ma liberté, il est aussi celui sans lequel presque rien n'est possible pour moi. J'ai besoin des autres pour réaliser la plupart de mes volontés et ainsi réaliser concrètement ma liberté. Si les autres n'existaient pas, peut-être faudrait-il les inventer car sans eux nombre de mes volontés seraient irréalisables. [...]
[...] Ainsi lorsque nous voulons ou devons vivre dans un même espace avec quelqu'un, nous devons limiter la réalisation de tous nos désirs, pour apprendre le partage et la concession. Nous ne pouvons plus faire tout ce que l'on veut sans quoi l'autre, d'une manière ou d'une autre, saura nous rappeler sa présence. Nous réalisons cette évidence parfois difficile à vivre qu'être deux, c'est cesser d'être seul. Ainsi l'autre est celui qui vient limiter les possibilités de mon vouloir, donc ma liberté. [...]
[...] Par les lois, l'espace lui-même se trouve délimité et je ne peux même plus aller où je veux. Les portails et les barrières qui entourent les maisons et domaines privés, les clôtures qui entourent les champs, les douaniers et policiers qui entourent les frontières sont à chaque fois là pour me rappeler qu'ici je ne peux pas aller, je ne peux pas circuler librement. Le monde est morcelé en pays et en propriétés privées où on ne peut plus circuler que dans des interstices, à condition d'avoir les bons papiers. [...]
[...] Et si autrui est celui vers qui tend ma liberté, y a-t-il encore un sens à parler de lui comme d'une limite à ma liberté ? III) Autrui n'est-il pas celui vers qui tend notre liberté ? Autrui ne doit pas être considéré seulement comme un moyen ou un obstacle en vue de la fin que se propose mon vouloir. Quel sens aurait la liberté pour l'Homme s'il était tout seul sur Terre ? Autrui est celui avec qui je peux vouloir construire quelque chose (par exemple vouloir construire sa vie avec quelqu'un), ou tout simplement celui vers qui tend mon amour. [...]
[...] N'y a-t-il pas une certaine illusion à se croire libre uniquement parce qu'on a l'impression de faire ce que l'on veut ? C'est peut-être oublier cette prison qui s'appelle ignorance, cette illusion de liberté qui provient de déterminations inconscientes. C'est peut-être oublier que la liberté relève davantage d'un effort de libération que d'un fait établi, d'une pure expression de notre désir. Mais précisément, comment peut-on espérer une forme de libération sans le secours d'autrui (par sa présence, par sa parole) ? Qui nous transmettra le savoir, la sagesse sinon la personne d'autrui ? [...]
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