On entend souvent dire qu'il faut profiter de la vie. Est-ce là le sens à donner à l'expression « vivre pour vivre », ou celle-ci ne traduit-elle que l'instinct de survie propre à tout être vivant ? On voit d'emblée qu'il convient de réfléchir sur ce que l'on entend par vivre : être ? Exister ? Conjurer la mort ? La réflexion s'impose d'autant plus qu'ici, vivre serait le but proposé à… la vie elle-même : le sujet et ce qu'il vise ne feraient qu'un ! Mais dans le cas où l'un se ferait le moyen de l'autre, que veut-on dire exactement? D'ailleurs, quel est le « vivre » qui serait la condition de l'autre ? Et la vie comme but visé renvoie exactement à quoi ?
À la lumière de ces quelques remarques, on notera que derrière une expression et une question, somme toute assez banales, se déploie, en fait, un problème philosophique d'ampleur : qu'est-ce que vivre au sens humain du terme ?
[...] Pour l'homme, c'est le sens qu'on donne à sa vie qui fait vivre, pas la vie. Si Camus peut commencer son ouvrage Le mythe de Sisyphe par cette phrase brutale : il n'y a qu'un problème philosophique vraiment sérieux : c'est le suicide. c'est qu'en effet, à la différence de tous les autres êtres vivants de cette planète, l'être humain est bien le seul pour qui le seul fait de vivre ne va guère de soi. A se demander si vivre pouvait être le but de la vie, il a bien fallu réfléchir à ce que pouvait signifier le terme même de vivre découvrant alors des itinéraires assez différents. [...]
[...] Comment s'y prend-on ? En s'occupant l'esprit de manière incessante avec une multitude de préoccupations et activités en tous genres. Totalement encombré de multiples détails à régler, l'être humain, ainsi, s'étourdit pour se détourner de la pensée dérangeante, ce que Blaise Pascal, au XVIIe siècle, appelle le divertissement. Superficiellement, on pourrait y voir la fameuse idée de la poursuite du plaisir pendant qu'il en est temps profiter de la vie-, mais à y regarder de plus près, il s'agit plutôt d'une boulimie angoissée et hystérique : on ne savoure finalement rien, ni du passé ni du présent, car le but, en fait, n'est pas de goûter la vie, mais de fuir frénétiquement la mort. [...]
[...] Chercher à savoir quelle idée pour quelle vie et pourquoi, constitue non seulement le but de vivre, mais la vraie condition qui rend possible de vivre, qui lui en fournit l'énergie même. L'être humain, jamais réduit à seulement ce qui est, aux simples faits, les déborde toujours, pour inventer, chercher à les comprendre, leur donner du sens, à eux, mais aussi pour que lui-même signifie quelque chose en ce monde et pour qu'il ait du sens à ses propres yeux. Il ne vit pas, il existe c'est lui qui pose sa vie, et c'est pour la penser. [...]
[...] C'est donc, dit Epicure, vivre comme des dieux Ainsi, la vraie vie est celle qui s'arrache à l'immédiat, aux pulsions même dites vitales, au pur senti. La vraie vie par la pensée et la maîtrise qu'elle permet, est celle qui élève à une sorte d'existence déjà capable d'être au-dessus des contingences comme on dit, c'est-à-dire libérée des troubles que la vie habituelle des hommes occasionne, une existence qui se meut déjà dans une sorte d'immortalité, centrée sur un essentiel qui, lui, ne passera jamais. [...]
[...] C'est bien en ce sens que vivre ne peut être le but de la vie. A cet égard, l'analyse de la dialectique du maître et de l'esclave que propose Hegel exprime parfaitement que, c'est justement en étant capable d'aller au-delà de l'idée de vivre –celle ne pas vivre- que l'on découvre un autre mode d'être, celui de l'esprit. En se situant au niveau de ce mode d'être, pur esprit, il sauve sa vie, car l'autre, lui, ne se définissant que par la vie physique, se constitue alors l'esclave de l'autre pour, justement, tout perdre, sauf la vie ! [...]
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