Les philosophes ont souvent médité sur la mort et sur la place qu'elle doit occuper dans notre état de vivant. Leurs avis divergent : Heidegger estime que c'est la conscience de la mort qui nous fait réaliser l'importance de la vie tandis qu'Epicure condamne toute réflexion sur la mort car il estime son impact inexistant. De sorte que je peux légitimement me demander : faut-il vivre comme si je ne devais jamais mourir ? L'expression ‘'faut-il'' révèle une nécessité, la question est posée en termes d'impératif et en souligne le caractère essentiel. Le ‘'comme si'' renvoie au caractère illusoire de la phrase.
La question est paradoxale. Que je vive ou non comme si je ne devais jamais mourir, le but souhaité est de vivre pleinement la vie :soit en oubliant la mort, soit en réalisant le privilège qu'est ma vie en ayant pris conscience de ma limite dans le temps.Rappeler à l'homme sa condition de mortel (‘'memento mori) révèle trouver dans l'appréhension de la mort, le secret de son existence ? Mais quel est donc l'intérêt d'une vie rythmée par la méditation de la brièveté de celle-ci ?
Pour certains, la simple pensée de la mort empiète sur la plénitude du présent. Il convient donc d'en faire abstraction pour ainsi jouir de la vie.
[...] Nous l'avons compris, l'homme est inévitablement contraint de regarder la mort en face. Pour échapper à la conscience d'une issue fatale, les hommes tentent de gagner leur immortalité de diverses façons. Selon Nietzsche, l'art permet à l'homme de ‘'ne point mourir de la vérité''. En effet, l'action de créer lui permet de laisser une trace indélébile de son passage sur terre et ainsi gagner une certaine éternité. Picasso, peintre espagnol fondateur du cubisme, n'a-t-il pas, en peignant ‘'Les Demoiselles d'Avignon'', dépassé sa finitude en ancrant son nom dans l'esprit des vivants ? [...]
[...] L'expression ‘'vivre comme si nous ne devions jamais mourir'' souligne dans les différents cas étudiés ci-dessus la volonté des hommes de vouloir fuir la mort en n'y songeant jamais et en vivant dans le présent. Mais si telle vision de la vie était réellement respectée, Montaigne n'aurait même pas pu envisager l'écriture de ses essais tandis que Rousseau n'aurait jamais pu écrire ‘'Les rêveries du promeneur solitaire''. Pour répondre à cette objection, nous pouvons proposer une différente interprétation à cette expression (‘'vivre comme si nous ne devions jamais mourir'') et comprendre sa signification comme la provocation de l'homme, qui, se sachant mortel, brave la mort avec mépris en agissant comme immortel. [...]
[...] Mais la mort ne pourrait-elle pas engendrer chez l'homme un autre sentiment que la peur ? Les stoïciens rappellent d'ailleurs qu'il y a un devoir de lucidité. La mort met en relief la fragilité de la vie : ‘'Bientôt tu ne seras plus que cendre ou squelette'' rappelle Marc-Aurèle. Les Stoïciens condamnent donc l'illusion dans laquelle s'inscrivent les partisans de l'ignorance de la mort et soulignent la contradiction entre la vérité de la vie et leur manière de vivre : ‘'Vous vivez comme si vous deviez toujours vivre''. [...]
[...] Il est vrai que considérer la mort revient à reconnaître que ma vie n'est pas mienne puisqu'elle me sera reprise dans une durée plus ou moins longue. Quel est donc l'intérêt de donner sens à une vie qui peut m'être reprise d'un moment à l'autre ?Le philosophe français André Compte-Sponville rappelle l'anéantissement du sens de la vie lorsque la mort est considérée : ‘'La vie n'a pas de sens : nous n'allons vers rien d'autre que le rien. C'est pourquoi il nous faut profiter de là où nous sommes''.Montaigne se rapproche également de cette pensée en rappelant que la mort est le bout et non le but de la vie A ces visions sages, l'homme à l'état de nature de Rousseau préfère l'évocation de l'état de nature ou la mort est également ignorée, mais grâce à un mode de vie ancré dans un présent sensible. [...]
[...] Selon la doctrine du carpe diem, il faut ‘'cueillir le jour présent et être le moins confiant possible en avenir''. La conscience de la mort permet de se rendre compte des bénéfices intrinsèques de notre existence et cette conception rend notre vie prééminente à une autre vie ou la mort est volontairement oubliée. Mais il n'y a pas que cette légèreté qui compte. Selon le philosophe russe Nicolas Berdiaev On comprend alors le caractère essentiel de la mort qui offre à l'homme le véritable sens de sa vie. [...]
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